Tout commence dans un décor dépouillé de tout artifice. Sur la scène nue, Nathalie Mellinger et Pierre Verplancken nous accueillent au Théâtre de la Vie en nous annonçant dans un élan idéaliste leur spectacle rêvé. Alors que l’espace s’habille soudainement de mobilier design pour nous plonger dans l’ambiance chic et cosy d’un appartement au cœur de Paris, les comédiens, devenus protagonistes de Perec, nous racontent le quotidien de Jérôme et Sylvie. Prisonnier d’une cage dorée, ce couple de psychosociologues enchaîne les enquêtes de consommation ingrates pour accumuler l’argent qui satisfera ses besoins matérialistes. Sans cesse en train de rêver à leur prochaine acquisition, leur prochain appartement ou leurs prochaines vacances, les personnages de Perec nous renvoient à nos propres désirs dans une société où la consommation est un langage qui répond au célèbre « J’achète, donc je suis ».
Gardant comme fil conducteur le texte de Georges Perec, « Ils tentèrent de fuir » se construit comme un aller-retour entre différents niveaux de réalité et de narration (le roman de l’auteur et le spectacle qui se crée sous nos yeux) qui s’entremêlent dans un dialogue entre l’hier et l’aujourd’hui si bien que les comédiens et les personnages se confondent progressivement. Au cœur de cette dynamique du théâtre dans le théâtre, Nathalie Mellinger et Pierre Verplancken enrichissent leurs personnages de multiples facettes et nous livrent une performance à la fois légère et intense, recueil de moments drôles, sensibles, de fables revisitées, de discussions animées, d’idées engagées, d’émotions fortes et de rêves brisés.
Avec « Ils tentèrent de fuir », Soufian El Boubsi et Joachim Olender confrontent le spectateur à la machine infernale de notre société de consommation. Ici, le simple objet peut devenir décor ou personnage ; des lunettes de soleil peuvent nous faire voyager, un pupitre nous ramener au théâtre, une paire de chaussures hors de prix nous berner ou un tableau de Rothko devenir symbole de la réussite matérielle absolue. Par l’utilisation d’un écran, les metteurs en scène nous inondent en temps voulu de ces images devenues elles-mêmes un bien que l’on consomme parfois sans réfléchir.
Sans intention moralisatrice, « Ils tentèrent de fuir » ne se veut pas une dénonciation manichéenne de notre consommation, mais nous invite à une réflexion, une remise en question de notre système de valeurs, de notre amour des choses et d’un bonheur qui semble inévitablement lié à la vie matérielle. Véritable écho à nos propres contradictions, ce spectacle interpellant, subtil et percutant, soulève des interrogations résolument modernes. Pouvons-nous vivre libres dans une prison dorée tant idéalisée ? Pouvons-nous sortir des sentiers battus, hors d’une vie toute tracée et de besoins standardisés ? Si oui, comment faire ? Tenter de fuir peut-être…
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