Avant "Il nous faut l’Amérique !" Koffi Kwahulé n’avait jamais écrit de comédie, mais le désir d’en écrire une était là. Ecrire une comédie qui partirait d’une non-situation. Où trois pieds nickelés, une femme et deux hommes, tueraient le temps en bavardant. Les choses peut-être en seraient restées là si ce désir de comédie n’avait pas rencontré une obsession : le corps d’une femme comme corne d’abondance …
Rencontre avec DENIS MPUNGA, le metteur en scène de la pièce.
Il nous faut l’Amérique, ce titre accrocheur, que cache-t-il ?
Denis Mpunga : C’est l’histoire de deux hommes et une femme dont un couple. L’un s’appelle Topi Topi, la femme Badi Badi et l’autre Opolo, déjà leurs noms les situent dans un univers de cirque. Ils n’ont plus rien mais ils ont encore la parole et donc la capacité de rêver et c’est ça leur truc. Ils passent leur temps à rêver, rêver, rêver... Et à parler ! À parler en espérant un jour réussir quelque chose, ils ne savent pas très bien quoi... Et tout en parlant, puisqu’ils n’ont plus que ça, la femme va aux toilettes et quand elle revient, elle dit : « Les gars, vous savez quoi ? Je pisse du pétrole ! ».
À partir de ce moment, ils imaginent devenir très riches. Tout le monde en parle, tout le monde veut en acheter. Ils deviennent une multinationale. Ils ont réalisé leur rêve mais je ne vous dis pas comment cela se termine...
On parle de l’écriture de Koffi Kwahulé comme d’une écriture jazz. Qu’entend-on par écriture jazz ?
Denis Mpunga : Koffi Kwahulé est un écrivain franco-ivoirien qui habite à Paris. Il a écrit
une quarantaine de pièces à peu près et il s’inspire toujours d’un morceau de jazz et pendant toute l’écriture il passe le même morceau en boucle. Il écrit très vite, toujours en immersion avec cette musique. Il ne va donc pas respecter la forme grammaticale française, il va laisser la musique imprégner son écriture. Et comme disent les écrivains francophones venus d’Afrique ; « On va tordre le cou à la langue française » pour la faire nôtre. C’est cette démarche qu’il adopte avec le jazz.
Quel a été votre point de vue dans la mise en scène ?
Denis Mpunga : Le texte de Koffi Kwahulé a été édité en 1997. Il vient d’ailleurs d’être
réédité. Quand je l’avais lu à l’époque, il m’avait moyennement intéressé. Probablement que dans mon parcours de metteur en scène, je n’étais pas encore prêt. Ce qui m’a frappé en le relisant, c’est justement qu’il met en lumière deux choses pour lesquelles les êtres humains sont égaux. Primo, la capacité de rêver. Tout le monde a la capacité de rêver, que le rêve soit petit ou grand, cela n’a pas d’importance. Ce qui compte c’est qu’il soit important pour nous.
Secundo, c’est le temps. On a tous 24h dans une journée. Ce qui fait la différence, c’est
l’usage que l’on va faire de ces 24h. Et nos amis passent leur temps à rêver et peut-être qu’un jour, le rêve va se réaliser et leur permettre de rebondir. En revenant de Liège, j’écoutais une interview de Jacques Brel qui disait que le talent n’existe pas, seule existe l’envie de faire quelque chose. Tout le reste n’est que de la sueur. Il disait que jusqu’à 17 ans, on a des rêves mais sans savoir que ce sont des rêves et on passe le reste de notre vie à essayer de rattraper le rêve. En rêvant, on sait tout de la vie. C’est cette capacité à rêver qui m’emmené à faire le spectacle.
Au niveau du rythme, comment avez-vous conçu la mise en espace ?
Denis Mpunga : C’est toujours dangereux de prendre la musique que l’auteur utilise pour l’écriture car elle a servi à un autre usage. Sur le plateau, c’est autre chose. Donc je casse tout cela mais je garde le rythme et j’essaie de faire en sorte que les comédiens parlent au rythme de la pensée. Nous avons plus de 600.000 pensées par jour. Quand je parle, je ne peux que ralentir le rythme. Si je voulais parler à la vitesse lumière de mes pensées, cela irait à toute allure. Et j’avais envie de tester cela avec eux comme s’ils n’avaient que cela, parler à la vitesse de leur tête. Et cela donne des choses étonnantes.
Propos recueillis par Palmina Di Meo
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