Depuis un certain nombre d’années, les écrans sont présents en masse sur les scènes de théâtre. Utilisés comme panneaux peints du théâtre à l’ancienne, ils servent à figurer des décors. Plus abstraits, ils aident à créer des ambiances. Enfin, quand ils ne servent pas de joujoux technologiques aux metteurs en scène pris par la folie des grandeurs, on remarque que c’est principalement pour explorer l’intime que ces derniers sont aujourd’hui mobilisés. Les écrans démultiplient, agrandissent, donnent à voir ce qui risquait de passer inaperçu. Mais lorsque Michèle Noiret installe un grand écran sur scène, c’est le cinéma qu’elle fait entrer au théâtre. Avec Hors-champ, elle explore les possibilités du cinéma pour la danse. Sur quels modes peuvent se rencontrer ces deux disciplines ? Quelles possibilités l’une ouvre-t-elle pour l’autre ? Son talent permettra d’éviter une réduction utilitariste de l’un de ces médias à l’autre, comme c’est malheureusement trop souvent le cas dans les démarches dites transdisciplinaires.
Au moyen des images filmées, l’espace est démultiplié : nous voyons à la fois l’envers et l’endroit des décors. La scène elle-même est en perpétuelle transformation : tantôt nous sommes sur un plateau de tournage avec ses artifices pour figurer des lieux divers, tantôt nous pénétrons à l’intérieur de ces lieux. La caméra permet à la chorégraphe d’exploiter les différentes facettes de l’image qu’elle décompose et recompose, créant ainsi une narration éclatée et hallucinatoire. Entre fiction et réalité, corps présents et corps filmés, événements et fantasmes, le spectateur perd ses repères. Comme dans les films de Lynch, les images créées par Noiret sont des stimulateurs pour l’imagination créatrice du spectateur. Elle lui fournit des ambiances, des ébauches de récits aux liens de causalité déconstruits. A lui de tenter de les démêler si l’envie lui vient de mettre de sens dans tout ça. Mais il peut aussi décider de tomber dans le piège de ce spectacle à la logique hallucinée, proche de celle du rêve…ou du cauchemar. Accepter de ne pas comprendre, entrer dans l’espace sonore créé par Todor Todoroff pour suivre ces personnages qui se racontent au moyen de leurs corps.
C’est la voie que j’ai choisie. Je n’ai pas compris tout le spectacle, loin de là. Je me suis laissée aller à la jouissance du jeu des formes et des images, je me suis perdue dans ces décors réalistes à l’esthétique soignée. J’en suis sortie plutôt indemne, un peu déboussolée, ravie surtout.
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