Il y a d’abord l’homme et sa voix, instrument parmi les instruments. Il en joue comme un sorcier, les yeux exorbités, la modulant pour être tour à tour un enfant ou un vieillard, un monstre ou un ange parcourant toute l’indicible palette qu’il y a entre le murmure et le cri. Nous sommes véritablement dans l’interprétation, qu’il s’agisse de donner corps à un texte (un poème) ou de donner corps à du sonore pur au travers de gargarismes en tous genres. Henri Chopin n’est ni un récitant ni une machine à produire des sons, il est véritablement un acteur. Certainement d’avantage dans le sens où l’entend un enfant que dans celui où l’entend un professionnel de la comédie, tant peut paraître, à certains égards, naïve l’entreprise d’Henri Chopin. Quoi qu’il en soit il est habité et c’est le moins que l’on puisse dire ...
Il y a ensuite l’homme et le microphone, le plus simple des instruments électroacoustiques et premier maillon d’une chaîne d’amplification. Henri Chopin émet du sonore et le capte dans un même geste pour le restituer au travers des haut-parleurs. Il se rapproche plus ou moins du microphone, jouant de la distance comme instinctivement un enfant le ferait, n’hésitant pas à se l’enfoncer au fond de la gorge s’il le faut. Il peut aussi traiter drastiquement sa voix en temps réel au travers de sa table de mixage produisant des sons certes inouïs mais toujours en connexion directe avec leur source ; le corps humain. C’est d’une simplicité déconcertante, d’autant que la notion de jeu est toujours primordiale, le bonhomme s’étonnant parfois lui-même de ce qui sort des hauts-parleurs. Pourtant il s’agit bel et bien là d’une première couche d’abstraction, du premier degré de mise en abîme d’un processus compositionnel mis à nu. Aussi l’auditeur peut-il jouer avec l’interprète, non qu’il soit ici question d’interactivité (si chère à certaines créations contemporaines, ne sachant plus comment intéresser un public quelque peu blasé) mais plus exactement de l’inclure dans l’élaboration en directe d’un tissu sonore au travers de la compréhension qu’il peut avoir des ficelles qui le constitue.
Il y a enfin l’homme et l’enregistreur. Appareillage assez basique qui permet à Henri Chopin d’enregistrer sur la bande les sons qu’il produit et de les restituer dans un temps différé tout autant que de les manipuler, en vitesse, en timbre et en niveau. Ici la relation de cause à effet qui lie la source et le phénomène sonore entendu se voit quelque peu rompue, éclatant et démultipliant virtuellement la voix. Pour autant, ne disparaît-elle pas complètement car c’est maintenant le geste qui se porte garant de cette relation aussi ténue soit-elle. En effet il faut bien lancer, arrêter, rembobiner et relancer, bref manipuler la bande qui devient d’une certaine manière une nouvelle source sonore s’ajoutant à celle de la voix entendue naturellement et de la voix amplifiée, même si encore une fois la relation de cause à effet est moins évidente. Gageons que l’impact eut été bien moins fort si avait été substitué à ce support physique en mouvement celui virtuel et statique de l’ordinateur.
Bien que la musique d’Henri Chopin puisse être éclairée par une sommaire analyse phénoménologique, il n’en reste pas moins qu’il faut le voir et l’entendre pour le croire. Aussi le film que nous propose Bozar est-il une ultime opportunité de s’approcher du mieux possible de ce que pouvait être une représentation d’Henri Chopin.
Chronique musicale de Joachim Glaude