Pour comprendre "Haute Pression", il faut replacer l’objet dans son contexte de création. Suite à une commande provenant du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, la pièce "Haute Pression" s’inscrit dans un vaste projet de recherche sur la question ethnographique, plus principalement sur la problématique des musées européens créés pendant la période coloniale et renfermant un patrimoine subtilisé aux peuples d’Afrique. La question de l’objet exposé, de sa "valeur" en occident, du rapport qu’il induit avec les civilisations africaines, tout ceci tisse une toile de fond passionnante pour la création et le débat d’idée.
Le problème est le suivant : la pièce de Denis Mpunga n’aborde pas vraiment cette problématique. Il est difficile de comprendre les liens qui unissent le projet initial et le résultat scénique. Certes, la présence subite de ce masque doté de propriétés surnaturelles, ainsi que le chambardement qu’il provoque en occident exprime le questionnement des objets traditionnels qui peuplent nos musées. Mais le texte ne dénonce rien de précis ni ne traite aucune question en profondeur. L’on décéléra une critique de "l’opinion" (publique, scientifique, politique) qui vacille trop facilement selon le sens du vent. L’on trouvera également une critique des états occidentaux, de l’inadéquation manifeste de leurs actions en matière de gestion post-coloniale. Cependant, rien n’est réellement développé, tout est effleuré sans force.
Cette imprécision se retrouve dans la forme artistique elle-même. Prenons un exemple : Une femme vêtue de rouge intervient ponctuellement, fendant l’air de ses bolas. Comment interpréter cette présence ? Au premier degré, l’on percevra une forme d’agressivité, de violence aveugle. L’image est évocatrice, mais que veut-elle dire ? Est-ce la violence de l’Occident ? De l’Inconnu sur lequel notre rationalité n’a aucune prise ? Rien de tout ceci ? La mise en scène reste volontairement imprécise sur la nature de ce personnage. Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais qui ne fait qu’illustrer le choix du metteur en scène de laisser le spectateur se donner ses propres réponses. A priori, ce n’est pas un mauvais postulat que de laisser le public investir librement la forme qu’on lui offre. Cependant, il faudrait que les éléments transmis à son imagination soient forts et suggestifs, mais aussi que le climat soit propice à un tel envoûtement des sens.
Or, ceci ne peut se produire que difficilement. D’un coté, "Haute pression" est composée d’événements traités dans le souci d’une vraisemblance réaliste (journal parlé, interview de passants). De l’autre, l’on trouve en effet des tableaux chorégraphiés mettant en scène des personnages symboliques (femme aux bolas, danseuse africaine, musicien amérindien), mais ne présentant qu’une faible teneur évocatrice. Les pistes ne sont pas creusées, mais partent au contraire dans trop de directions.
Qu’est-ce qu’on aime finalement ? Le début de la pièce : Un son de tempête puissant emplit la salle du Varia, comme l’augure funeste d’une catastrophe prochaine. Ajoutons à cela une foule de petites choses qui sont agréables à observer : un masque géant bien animé, des instruments exotiques et incongrus, quelques effets scénographiques bien construits. On apprécie surtout le duo Alexandre Trocky/Karim Barras, dont la complicité naturelle crée sans difficulté des dialogues frais, drôles et dynamiques. Pourquoi ne pas s’être concentré sur ces deux personnages ? A la place, nous sommes noyés par l’abondances d’éléments qui contribuent certes à la fiction mais n’apportent rien d’essentiel au propos. Si l’objectif était de discuter les rapports asymétriques nord/sud, les vols éhontés des colons commis sur le patrimoine africain, il y avait nettement plus à dénoncer. La Belgique exerça une telle violence au Congo sous le règne de Léopold II... "Haute pression" est franchement trop gentil, trop complaisant. Et si l’objectif n’était pas d’engager la pièce dans le débat... il reste une pièce un peu confuse.
Soyons prudent : peut-être que votre serviteur n’a simplement pas été sensible au charme de cette création. Peut-être qu’il faut prendre ce que l’on vous offre sans vouloir trop en dire. Mais alors je ne m’explique pas le projet initial ni sa concrétisation.
Charles-Henry Boland
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