Renvoyant à la légende du joueur de flûte qui débarrassa une ville de ses rats mais aussi de ses enfants, la pièce ne fera toutefois qu’évoquer ce conte. Montero, le juge, n’en énoncera à chaque fois que le début et nous sommes sans doute loin du petit village allemand quand s’ouvre la pièce sur les murs vides, seul décor en place. Mais si l’auteur espagnol Juan Mayorga, que cette pièce a le mérite de mettre en avant, s’éloigne du conte original c’est pour nous offrir une magnifique réécriture du mythe. Reprenant le motif des enfants, innocents, qui sont les victimes du monde dans lequel nous vivons, il aborde le sujet sérieux de la pédophilie. Ou plutôt la réaction d’une ville et d’un homme face à cette atrocité ainsi que la difficulté du langage à l’aborder.
L’écrivain pense, à juste titre, que la plus grande force du théâtre est l’imagination du spectateur. La figure de l’Annoncier en est la preuve. Annonçant les répliques, énonçant les silences et les didascalies, il met en exergue que le théâtre passe par le langage. Mais il ne s’agit pas de retourner à un théâtre purement littéraire où chaque élément serait là uniquement pour servir le texte. Bien au contraire, l’Annoncier est aussi celui qui rappelle sans cesse au spectateur le travail d’imagination qu’il doit opérer car seuls les dessins à la craie qu’il réalisera tout au long de la pièce feront office de temps qui passe ou de changement de décor. De plus, le choix d’un plateau vide (seules quelques chaises serviront de décor mobile) souligne aussi la place du comédien.
Un bémol par contre, face au jeu des acteurs qui se révèle assez inégal et aux quelques longueurs sur la fin. Si le metteur en scène a sans doute voulu s’éloigner d’une diction trop théâtrale qui de toute manière ne siérait pas à l’univers contemporain dans lequel est ancré la pièce, celle-ci est parfois trop hésitante et, ajoutée aux quelques maladresses de jeu ou de rythme, elle sort le spectateur de l’atmosphère oppressante mise en place pour nous rappeler qu’il est question ici de l’innommable.
Soulignons les performances de Thierry Lefèvre (L’Annoncier) et de Fabrice Rodriguez (Pablo) qui joue avec justesse cet homme dont on découvre petit à petit les troubles intérieurs. Sans excuser ni diaboliser, le ton adéquat a été trouvé pour aborder cette délicate facette du sujet, à savoir la psychologie du pédophile.
Une scénographie à inventer, un théâtre qui se montre et qui se cherche, des comédiens à l’épreuve de leur rôle...on ne peut que souligner l’intéressante réflexion menée à la fois par l’auteur et par le metteur en scène. En somme, malgré les imperfections et quelques longueurs, un spectacle à voir mais surtout un metteur en scène à suivre !
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