Un pianiste nu égrène les notes d’une sérénade pendant que le rideau s’ouvre. Cinq hommes, nus également, déambulent éclairés par la lumière de leur smartphone sur fond de râles de mâles en plein orgasme. Le piano laisse la place à des rythmes de batterie pendant qu’un des hommes s’empare d une barre de pôle dance pour un numéro parfaitement maîtrisé exprimant une sensualité très féminine. Le décor démesuré évoque autant un temple de la luxure qu’un lieu de prière. Dans ce cabaret, ce sont les hommes qui se dévoilent exposant leur corps et leur nudité aux regards. Hors la lumière aveuglante des projecteurs, dans les coulisses du Giovanni’s Club pendant les moments d’attente, il n’est plus nécessaire de paraître. Les hommes sortent de leur personnage viril et montrent leur vrai visage, ouvrent leurs âmes. Le cabaret devient groupe de parole, clinique de désintoxication. Quand le spectacle reprend, ils remettent masques et armures pour remonter sur scène.
Le poids de la virilité
Dans « Giovanni’s Club », spectacle nominé aux Prix de la Critique en 2017, Claudio Bernardo évoque le mythe de Don Giovanni, et de son pendant réel Casanova, pour questionner la virilité aujourd’hui. Selon le chorégraphe ces deux libertins impies incarnent tous les travers attribués à l’homme. Séducteurs avides et insatiables, ils n’ont de cesse de multiplier les conquêtes pour affirmer leur pouvoir, leur emprise sur les femmes. Aujourd’hui, le féminisme et la libération de la femme sont passés par là. L’image de l’homme dans toute sa virilité est cassée, il a encore du mal à trouver sa juste position et continue à résister par la force et le pouvoir. Pourtant les fragilités sont en train de basculer et font que les hommes peuvent montrer leurs faiblesses. L’homme a de plus en plus de difficultés à respecter les codes de la virilité et souhaite se libérer de ce joug. Alors qu’il cherche sa place, les autres genres arrivent peu à peu, parfois de manière sournoise, déterminés à accéder à un monde dont l’homme détient toujours la clé.
On passe de numéros en numéros sans logique de grand final, bouclant simplement la boucle avec un retour sur le pianiste solitaire. Le chorégraphe emprunte deux extraits de l’opéra de Mozart : la sérénade d’ouverture et la scène où le Commandeur, sorte de robocop harnaché comme la police antiterroriste, tend la main à Don Giovanni et lui demande de se repentir ce qu’il refuse avant d’être englouti par les flammes de l’enfer. Un transgenre, Mavi Veloso, la chrysalide d’un homme en mutation vers le corps d’une femme, tourne autour du Commandeur en récitant comme une prière, le couche au sol dans une image de Piéta lumineuse avant de le débarrasser de toutes ses protections La bête de guerre devient humain.
À côté de la musique de Mozart et la reprise de quelques chansons, toutes magistralement interprétées chacune dans son genre, la musique originale a été confiée à Yves de Mey et Jean Philippe Collard Neven. La musique électronique du premier donne un ton très actuel et s’allie à la subtilité de la musique acoustique contemporaine du second. Les costumes tout en simplicité sont signés Jean Paul Lespagnard et certains motifs reprennent des compositions qu’un artiste plasticien réalise à partir de photos pornos des années 70/80.
La mise en scène est grandiose et les interprètes impressionnants par leur précision et leur aptitude à franchir les frontières qui séparent les différentes disciplines, danse, chant, musique, cirque. Ils n’incarnent pas des personnages isolés mais les différents visages d un même Don Giovanni. Très écrite mais toujours subtile, la chorégraphie est omniprésente comme dans la scène de lutte ou le match de football. Claudio Bernardo déconstruit le mythe de l’homme viril pour faire de la place aux autres genres.
Didier Béclard
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