Il n’y a pas de metteur en scène à féliciter mais toute une compagnie de gens du théâtre (quatre anciens de l’IAD), qui se connaissent bien et se plaisent à écrire et à jouer ensemble. La compagnie LAZZI véhicule un art totalement vivant, plein d’humour et de brio, aussi éphémère que la musique d’un concert, mais combien vibrant. Chaque représentation est différente selon les réactions du public partagé en quatre groupes de spectateurs qui arpentent les lieux de la représentation. Le spectacle fut créé au château de Modave en 2003, un lieu certes riche en salons, corridors, chambres, bibliothèque et autres recoins secrets.
En 2013 c’est la découverte des dédales d’un autre lieu d’histoire, le Théâtre Saint-Michel, qui nous guette des caves aux combles… en passant par d’anciennes classes de ce collège mythique qui a vu s’écraser à deux pas de ses murs un V2 meurtrier en 1944. Le cœur du spectateur palpite d’ailleurs dès les premières sirènes, les mêmes que celles entendues par nos aïeux.
Les quatre groupes voient le spectacle dans un ordre différent, menés chacun par un domestique sarcastique en diable qui ferait bien dans un thriller. La proximité jette des frissons d’effroi. Il n’est pas interdit de prendre note - ce que firent certains, à tout hasard - et évidemment tout se résout à la fin, sur la scène principale, entre rires et larmes, sous le regard critique des quatre impayables domestiques. On a vite un suspect en tête… on a le temps d’échafauder entre les scènes et on a envie de se laisser prendre au jeu. Les spectateurs n’hésitent pas à confronter leurs impressions pendant leur périple labyrinthique. La fin du jeu est le nom d’une pièce célèbre d’Eugène Ionesco qui virevolte dangereusement sur un bouquet de citations musicales parodiques complètement surréalistes ! Ouf un peu de détente en même temps que la morale de l’histoire !
En plus de cette approche insolite, le public est comblé par la très belle dramatisation. Le majordome, Matthias fourbe et splendidement servile malgré la rage sociale qui lui étreint le cœur est plus vrai que nature sous les traits de Thomas Linckx. La baronne Marguerite prend des airs de Marlène, oscillant entre alcool et femme fatale ou femme délaissée. Elle est merveilleusement croquée par une excellente Evelyne Rambeaux. La gouvernante Adèle, qui n’a rien d’une grande sèche, s’est glissée sous les traits joviaux de Pascale Vander Zypen, une femme diabolique ? Tandis que son comparse, Christian Dalimier incarne parfaitement le grand échalas de peintre de salon, Henri Rolin, épuisé d’être aux petits soins d’un mécène qu’il méprise.
Malgré les pérégrinations, on ne perd jamais le fil de la toile où sont enfermés les personnages. Au contraire la mosaïque de la comédie de mœurs se fait de plus en plus lumineuse, jusqu’au(x) coup(s) de théâtre de l’apothéose. Mais qui a donc tué d’un coup de couteau dans le dos, le Baron d’Arras dans le bureau ?
La mise en espace très habile des scènes recrée minutieusement l’atmosphère de l’époque. Clap, moteurs ! Va-t-on être filmés avec les acteurs ? Un vidéaste n’a pas cessé d’accompagner le groupe rouge ! Et finalement le concept vivant du spectateur obligé d’arpenter l’énigme dans tous les sens, replongeant à chaque fois dans un nouveau bain de mystère, est fort porteur. Si vous allez au théâtre pour vous endormir… c’est raté ! Le résultat est une pétarade de fiction romanesque et de petit bonheur théâtral de grande qualité. Entre nous, c’est vif, c’est enlevé, c’est acéré et grinçant à souhait, comme une Ghost story ! De quoi clore avec brio une année 2013 qui n’a pas toujours plu à tout le monde !