Regarder :
Un fils rebelle à l’emprise d’une mère castratrice ? Un homme faible et enfermé dans ses chimères ? Un jeune homme lunaire, exalté et romantique dont on contrarie les pulsions « malsaines » vis-à-vis de ses nombreux écuyers et que l’on veut faire épouser par une cousine, …à effet thérapeutique ? Louis Il de Bavière fut surnommé le roi perché pour le nombre de ses châteaux fantastiques exaltant l’éthique de la chevalerie médiévale et le génie de la France du Grand Siècle. Inspiré par les travaux de Violette le Duc, Louis II fit construire de superbes châteaux de style romantique flamboyant dont le plus célèbre est le Neuschwanstein.
Il sauva de la faillite Richard Wagner, avec qui il éprouvait en plus de l’admiration sans bornes, une attirance sexuelle non déguisée, mais à sens unique, selon ce que nous raconte Olivier Schmidt, l’écrivain et le metteur en scène. Son mode de vie défrayait la chronique. Mécène du musicien visionnaire, il dépensa des sommes démesurées pour lui, finançant, contre l’avis du conseil d’état, la construction du Palais des festivals de Bayreuth. Il imposa l’œuvre de Wagner mais fut finalement contraint de l’exiler en raison de son comportement totalement intéressé. Il fut aussi l’étrange confident et protégé de sa belle cousine, la célèbre Sissi, impératrice d’Autriche et reine de Hongrie, la seule qui échappa à sa solitude, sa misanthropie et sa misogynie chroniques. Il guerroya néanmoins pour défendre l’identité de son royaume, au sein de l’Empire allemand. Accablé par l’effondrement français en 1870, il se réfugia dans ses montagnes, construisant ses fascinants palais de légendes et s’isolant dans un monde que personne ne pourrait atteindre ni détruire… Comme le héros wagnérien, Tannhäuser, Louis II était à la recherche de l’impossible rédemption. Destitué pour » aliénation mentale » et enfermé au château de Berg, il trouva la mort, à l’âge de quarante et un ans, dans le lac de Starnberg dans des circonstances énigmatiques. Accident ? Suicide ? Assassinat ?
Ecouter :
Sur le plateau tourbillonnent seulement cinq comédiens, que l’on croirait bien plus nombreux, tant le rythme des entrées et des sorties et des jeux de miroir de l’histoire est intense. Ils jouent une bonne dizaine de personnages historiques… les costumes uniquement noir et blanc au début sont rutilants, le charme des deux comédiennes, une souvenir de Romy Schneider. Et tous sont taillés dans la beauté, sombre, sauvage, lisse ou élastique d’êtres en pleine exaltation. Ils projettent leurs répliques à la diction parfaite avec une splendide justesse de ton : Julien Hammer, Rafael Vanister, Charlotte Moineau, Séverine Wolff, Olivier Schmidt manient la palette théâtrale des mouvements avec une aisance tout aussi parfaite, malgré … ou à cause peut-être de l’exiguïté des lieux. La mise en scène se doit d’être millimétrée. On a droit à un concentré de pureté d’expression comme si le jeu théâtral devenait l’objet d’une mystérieuse alchimie. Le texte, écrit un peu à la manière de Jean Teulé est bourré de vivacité, de surprises, de belles phrases bien balancées ; on tombe très rapidement amoureux, non des pulsions avérées du roi « fou » mais de cette langue belle et rythmée qui fouille les tréfonds de l’âme, et de la construction de l’intrigue tendue et en forme de crescendo infernal et inéluctable.
Méditer :
Les thèmes développés nous concernent et nous touchent au plus près, qu’il s’agisse de l’intégrité de la personne, de liberté, de tolérance et de respect de l’autre pour un être « borderline » comme l’était Louis II de Bavière ou qu’il s’agisse de la quête du bonheur versus les contraintes d’une société avide de formatage, … Et de la Mort, bien sûr. En un mot : c’est émouvant et brillant, à tout point de vue ! Apprécier.
Dominique-Hélène Lemaire