Le texte d’un message défile sur l’écran. Il adresse une prière à son dieu, lui demandant sa protection et son aide pour annoncer son homosexualité à sa mère. Il a peur qu’elle le rejette. Il s’avance vers un micro en retrait du plateau. Il bafouille, cherche ses mots, louvoie, n’ose pas lui dire cette « terrible » réalité et, finalement, renonce.
« Bonsoir, je m appelle Hakim Bouacha. Ce soir, je vais vous raconter mon histoire, pas seulement la mienne. » Kabyle et musulman, Hakim est né à Roubaix, dans le Nord de la France. Chez lui, on parle français et on ne porte pas le voile, même si les traditions et la religion constituent les piliers du quotidien. Dernier de quatre enfants, il a connu cet amour particulier qui ne laisse pas de place à la différence. Être gaucher, par exemple, c’est haram (interdit par l’Islam), comme le fait pour un garçon d’aimer les garçons. Sur l’écran, des images d’ un prêche où un imam condamne la sodomie et s’interroge sur le supplice que mérite celui qui s’y adonne.
Le mot gay n’existe pas en arabe, on utilise juste des insultes ou des mots sales comme honte, trahison, vendu. L’homosexuel est moins qu’un homme. Hakim a grandi dans un milieu populaire, pauvre et a été confronté à un double combat : sortir de sa condition et pouvoir assumer son homosexualité là où la famille ou dieu et honneur ne font qu’un.
Par images interposées, Bouhdid témoigne depuis Tunis : « l’article 230 du code pénal tunisien, hérité de la colonisation française, prévoit une peine d’emprisonnement de trois ans pour les faits de sodomie ». Depuis Rabat, Soufian prend le relais pour expliquer que l’article 489 du code pénal marocain criminalise les relations sexuelles hors mariage, et donc les relations homosexuelles puisque le mariage gay n’existe pas au Maroc.
Dans ce contexte, Hakim doit être « plus » que tout le monde pour survivre, il doit se battre pour supporter, endurer, accepter insultes, humiliations et agressions. Un jour un de ses oncles, qui prennent le relais de l’autorité en l’absence du père, lui dit : « si je dois aller en prison parce que je t’ai tué, j’irai en prison la tête haute ». Même sa tante, plus jeune et plus moderne que sa mère, reconnaît, lorsqu’il lui fait son coming-out, que ce serait moins difficile d’apprendre qu’il a des ennuis avec la police que de le savoir homosexuel.
Pédé, gaucher, arabe, de Roubaix, Hakim est persuadé de cumuler tous les défauts du monde. A 17 ans, il vit une véritable histoire d’amour avec un homme de 7 ans son aîné. C’est l’extase et, après la rupture, il n’aura de cesse de retrouver cette félicité.
Quittant Roubaix pour Lille, qu’un monde, la langue et les codes séparent, il sort en boîte mais est confronté aux dérives du sexe, de la libido et de la drogue. Il fait l’expérience du décalage entre son côté romantique, féru de la poésie du XIXe siècle, et la main aux fesses qu’il doit subir. L’utilisation d’une application de rencontres lui révèle l’animalité maximale qui y règne. Que ce soit en mode homosexuel ou hétérosexuel, tout n’est que consommation. Le cœur angoissé, il en arrive à penser que l’amour n’est qu’illusion.
Même s’il centre son propos sur les inégalités, l’intolérance, l’exclusion, le combat, le genre, la sexualité, ici comme de l’autre côté de ma Méditerranée, Hakim Bouacha parle d’abord et avant tout d’amour, l’amour que l’on juge ou que l’on censure. Entre seul en scène et théâtre documentaire, d’une écriture d’une qualité remarquable où la légèreté côtoie le tragique, il témoigne de ce que subissent les homosexuels issus de pays musulmans et d’Europe. Il se félicite d’ailleurs que ses grands-parents aient quitté la Kabylie dans les années 50. Sans cela il n’aurait pas eu les mêmes prérogatives. Surtout pas celle de parler de cet amour malmené par l’oppression, le dogmatisme et la violence.
Didier Béclard
« Genesis » de et avec Hakim Bouacha, créé au Théâtre de Liège (encore jusqu’au 15 octobre) puis présenté les 21 et 22 octobre par le Théâtre National à l’Espace Magh à Bruxelles, 02/274.05.27, www.espacemagh.be.
1 Message