"…Pas un mot de vrai dans cette histoire
Qu’on peut effacer tout ce qu’on a à l’intérieur avec un chiffon mouillé,
A l’intérieur de moi, à l’intérieur de ma tête il y a tant de choses,
Tant de différents chiffres et tant d’images,
Et de l’huile de poisson et de la cervelle, et de la musique,
Il est défendu de les effacer, comme ça, d’un coup,
…
Peut-être que beaucoup des choses que nous voyons ne sont pas,
Mais il est quand même resté quelque chose, quelque chose existe quand même,
Je le sais aussi bien que moi"
Voici quelques uns des mots sublimes et troublants qu’écrivit Antonina Velikanova à Ivan Viripaev, jeune auteur russe. Tout du moins, c’est ce qu’il prétend. Conte ou réalité, peu nous importe, l’essentiel étant le résultat. A partir de ce « matériau-cadeau », il a en effet élaboré une pièce magistralement percutante, sorte d’ovni théâtral et musical...
Antonina est une jeune dame d’une quarantaine d’années, internée en Russie pour schizophrénie profonde. De son internement, elle écrit à Ivan une pièce, qu’elle nomme « Genèse n°2, Tragédie du sens ». Un texte « réaménagé » par l’auteur, qui y ajoutera la correspondance échangée entre eux, ainsi que des passages qu’il nomme « comiques », pour comme il le dit lui-même en prologue de la pièce, « divertir le spectateur (…) afin que la matière tragique ne le fatigue pas trop. ».De comique troupier il n’est évidemment pas question ici, mais plutôt d’un comique qui surgit de l’excellente interprétation des comédiens, subtile et justement décalée.
Et voici devant nous le texte complet, magistral et poétique à frissonner, mis en scène par le génial Galin Stoev. Son génie est celui tout simple de faire entendre cette partition complexe, presqu’inaudible à l’écriture, par le travail sensible et précis avec les acteurs. Les corps des comédiens donnent voix aux mots du texte, et l’on cesse de tenter de comprendre pour seulement vivre ce qui se déroule sous nos yeux…
L’ensemble est très contemporain dans sa tonalité et dans l’occupation de l’espace, notamment par une fine et intelligente utilisation de la vidéo. Cependant, on se prend à percevoir quelques accents tchékhoviens, dans la mélancolie ambiante…. Peut-être la doit-on à la présence musicale, magistrale et envoûtante ?
Quoiqu’il en soit, on sort de ce Genèse n°2 bouleversé et sans voix devant tant de sentiments si humainement et intelligemment mis en espace.
"Je sais que là-bas, à part des villes effacées de la surface de la terre,
Il y a quelque chose en plus.
C’est pour cette seule raison que je vis au milieu de toute cette bêtise,
Car je sais
Comme beaucoup, mais pas tous, mais beaucoup, savent,
Qu’il y a dans le monde en plus de tout le reste, encore quelque chose…"