Flanqué dans un canapé, une famille s’apprête à fêter Noël devant la télé. L’écran volumineux concentre toutes les lignes de fuite du plateau et devient, ce faisant, le personnage principal de la pièce. On s’attend donc malgré nous que de cette source en interaction intime avec l’action sur scène, il émerge du sens. Attente déçue.
Sur l’écran, les images qui défilent frénétiquement sous nos yeux sont issues de sources multiples : spots publicitaires, extraits de reality-shows, images de presse, montages vidéo conçus à dessein, reproduction de slogans, confessions filmées... L’idée, sans doute, est de figurer la pratique du zapping télévisuel et de rappeler la dispersion mentale et l"indifférence émotive qu’il peut engendrer. Un poncif.
Sur la scène, trois comédiens aux traits déjà trop mûrs, aux corps déjà trop raides, s’enlisent avec une conviction forcée dans l’incarnation de trois adolescents aux tenues, au langage et aux pratiques volontairement stéréotypées. Des adolescents malheureux, incompris et désenchantés. Des adolescents, quoi ! Certes, mais pour qu’ils le fussent vraiment, le stéréotype aurait dû être, à un moment, dépassé pour rejoindre une représentation plus nuancée, plus dense, plus complexe de cet âge entre deux âges. Ici, il finit par ne s’affirmer que dans sa dimension la plus réductrice.
Entre la scène et l’écran, les rencontres, si elle ne s’avèrent pas redondantes (ainsi des expressions "typiquement ados" prononcées par les personnages et reproduites d’emblée et systématiquement sur la toile) donnent lieu aux confusions les plus douteuses. Car les enfants finissent par tuer leurs parents, façon "Massacre à la tronçonneuse". Réalisation sanguinolente d’un impératif symbolique. Cette fin aurait été acceptable si elle n’était pas le terme - la conséquence ? - d’un défilé d’1h30 d’images chaotiques et, surtout, si elle n’était pas encadrée par le récit maladroit d’un fait divers macabre (les meurtres perpétrés par un garçon de quatorze ans sur fond de télé allumée) et la liste méthodique de l’ensemble des crimes commis par des adolescents sur les quinze dernières années. La psychose et l’adolescence sont deux réalités différentes. La société outrancière de l’image devrait-elle être ce qui les rassemble ? Si oui, peut-être nous faut-il rappeler que Pierre Rivière, dont le cas fut étudié par le philosophe Michel Foucault, a décimé toute sa famille en un temps où la télé n’existait pas...
A force de multiplier les thèmes (nihilisme, consommation, matérialisme, dépression, pouvoir de l’image, mal-être adolescent, dérive psychotique...), à force de les faire s’entrechoquer sans créer de résonances, Jeanne Dandoy chagrine par sa complaisance et son absence de propos. A cet égard, l’interprétation réussie de Mylène Farmer par les comédiens, la beauté de l’affiche et l’épure du décor sont trois gouttes dans l’océan.