Françoise Oriane est tombée dedans quand elle était petite. Par hasard… Aujourd’hui elle ne peut plus s’en passer. Bien sûr elle n’en mourrait pas mais c’est vital pour elle… le théâtre. Je me suis longtemps demandé comment j’allais vous la présenter mais le mieux est sans doute de la laisser parler…
Françoise Oriane, depuis combien de temps vous voit-on sur les planches ?
Ahou, ahou ahou ahou… J’ai commencé en 58’, j’ai maintenant soixante-sept ans. J’ai jamais su compter, tu feras ça pour moi.
Et bien ça va faire cinquante ans ! L’an prochain, vous fêtez vos cinquante ans de théâtre.
J’ai commencé au National, à l’époque sous la direction de Jacques Huisman, dans « L’année du bac » écrit par José-André Lacour. J’avais trois mots je crois. « C’est du rouge ou du blanc qu’il faut apporter ? J’en prendrai deux bouteilles ». Voilà, c’est tout ce que j’avais à dire. Avec ça on a été à Venise. C’était somptueux comme début de parcours.
Donc vous avez tout de suite tourné avec la première pièce dans laquelle vous avez joué.
Un an après oui. On est parti au théâtre de « la Fenice ». C’était sublime. Et dans des conditions exceptionnelles de confort, de rencontres humaines.
Et vous avez joué souvent à l’étranger ?
Oui, avec le National je suis aussi allée à Londres où j’ai rencontré Sir Lawrence Olivier et j’étais tellement abasourdie que j’ai dit bêtement « Hello ». J’étais subjuguée par cet immense comédien et cet immense monsieur qui est aussi très très beau. Et ses yeux sont très envoûtants.
Actuellement comment ça se passe ?
Je suis désolée mais… c’est formidable aussi. On travaille pour Harold et Maud et c’est le bonheur. Claude Enuset est un metteur en scène qui écoute les gens, qui met en confiance ce qui n’est pas fréquent.
C’est gai de se sentir aimé. Car on fait ce métier pour être aimé. Les gens qui disent le contraire c’est de la blague. Tu te mets à nu devant les gens, tu mets tes sentiments à nu. Tu essaies de donner un maximum d’amour. Il y a un échange d’amour entre le public et les comédiens. C’est ça le bonheur. Pour que ça fonctionne, il faut qu’il y ait cet échange. Il faut qu’on aime les comédiens. Moi depuis mes débuts, il faut qu’on m’aime. Je peux dire si dans une salle on ne m’aime pas du tout. Là c’est l’horreur ! Mais ça n’arrive pas souvent. Je ne dis pas ça parce que j’ai un gros cou mais en général ou les gens m’aiment bien ou je leur suis indifférente.
Mais bon, on n’aime pas inconditionnellement quelqu’un. Tu peux décevoir quelqu’un aussi, c’est humain. Tu peux être bien dans un spectacle et dans un rôle, surtout si il y a une vraie rencontre entre le personnage et le comédien mais tu peux aussi te casser la figure dans un autre domaine de pièce. Même si tu joues avec la même conviction d’ailleurs. Même quand ça foire, on y met de l’enthousiasme. Et si ça ne marche pas, je n’en incombe pas la faute à quelqu’un d’autre. Ce n’est pas de la faute du metteur en scène, des décors, non c’est moi, je suis un instrument plus ou moins bon. Il faut faire ce métier de la même manière que lorsque des gosses jouent. L’espace d’un instant ils ont été roi ou chevalier, ou bien voleur, ils jouent de façon tellement juste… et cinq minutes après ils vont chercher un chocolat. Pour moi c’est ça être un comédien, c’est comme ça que je conçois ce métier. C’est pas être dans un rôle et ne plus en sortir. Au théâtre il faut être vrai, juste.
Certaines des pièces dans lesquelles vous avez joué ont été filmées et vendues en DVD ; vous avez aussi joué dans des films...
Oui, la reine Margot, on a joué ça à Villers, c’est un souvenir formidable. Je ne sais pas si le DVD s’est bien vendu mais l’expérience était fantastique. À Villers tu dois avoir le punch, tu dois beaucoup donner car le lieu demande un effort physique et vocal très fort. Dans ce métier, il faut avoir une très bonne santé. Et un peu de talent.
J’ai eu la chance de jouer "Croque Monsieur" aux Galeries avec Louise Rocco. J’avais un rôle de composition, j’adore ça, j’étais une vieille fille, c’était un petit rôle très chouette.
Au cinéma, j’ai joué dans « Le violon brisé » de Alain Schwarzstein. C’était avec Anthony Delon, le fils de Delon ! J’avais une scène avec lui, je faisais un médecin, un chef de réanimation : Dr Maillence. Ce rôle était important, même marquant pour moi, bien que je n’avais que quatre scènes, car je fais très peu de cinéma.
J’ai eu un autre petit rôle dans « Odette Toulemonde ». J’avais un quart de phrase avec cette merveilleuse comédienne, Catherine Frot, qui est une comédienne adorable. Ça m’a apporté une rencontre furtive mais très chouette. Et Eric-Emmanuel Schmitt. J’ai la chance de le connaître un petit peu car j’ai déjà fait partie de deux de ses pièces : « Hôtel des deux mondes » jouée aux Galeries dans une mise en scène de Jean-Claude Idée et « La tectonique des sentiments » jouée au Public et mise en scène par Michel Kacenelenbogen. J’aime beaucoup ce qu’il fait, sa manière de voir et de ressentir les choses, c’est un être très vrai. Et (murmure-t-elle) je crois qu’il m’aime bien aussi. (Rires).
Vous avez aussi fait des voix de dessins animés comme la Reine de Cœur dans Alice au Pays des Merveilles, Prudence Petit Pas.
Tu as la chance de parler à Prudence Petit Pas. « Oui oui c’est moi Prudence Petit Pas. », dit-elle en chantant avec la voix du personnage. C’était très très chouette à faire, merveilleux. On a fait deux séries. Ça a très bien marché même si l’heure d’écoute n’était pas euh… ça passait à six heures quarante du matin donc j’espère que même les gosses pouvaient dormir plus longtemps que ça !!! (Éclat de rire !)
Tout ça vous amuse beaucoup.
Oui, même si pour le moment je ne fais plus de doublage de dessins animés. Je n’aime pas faire des tas de trucs en même temps. Parce qu’alors on ne fait pas bien les choses et il faut s’engager à fond dans ce qu’on fait. Enfin c’est mon petit point de vue. Mais je trouve que quand on court plusieurs lièvres à la fois on ne travaille pas avec la même énergie.
Quand j’étais plus jeune, je faisais beaucoup de trucs mais maintenant j’aime bien aussi vivre : voir mes amis, faire un bon repas. Mais j’adore le théâtre, je ne pourrais pas vivre sans théâtre, je serais en manque, comme si je n’avais pas d’amis. C’est très ingrat comme métier parce que tu donnes un maximum, du moins tu essaies et parfois tu te dis merde parce qu’il n’y a pas de répondant. Mais grosso modo, ce métier est gratifiant, c’est le plus beau métier du monde.
Est-ce qu’à un moment donné vous avez remis votre carrière en question, dans le sens où vous auriez voulu arrêter parce que c’était trop dur et changer de métier.
Ah non ! Jamais ! Mais j’ai eu un creux parce que j’ai fait jeune très longtemps et puis je n’ai pas assez vite fait mon âge. Donc je ne pouvais plus jouer des rôles jeunes mais pas non plus des femmes de mon âge. Mais ça n’a pas duré trop longtemps. Maintenant je suis tellement vieille que je joue les octogénaires ou les centenaires. (Rire)
Bien que j’aie fait ce métier tout à fait par hasard, je n’ai jamais pensé ni à arrêter ni à faire autre chose, c’était ça. J’ai commencé vers dix-sept, dix-huit ans. Je faisais comme beaucoup de jeunes à l’époque des figurations dans des films pour me faire un peu de sous. Et de fil en aiguille j’ai passé cette audition extraordinaire de la petite Luce dans « L’année du bac ». Je n’ai jamais suivi de cours, j’ai appris sur le tas. J’ai eu la chance de jouer avec de merveilleux comédiens qui m’ont appris énormément. Une comédienne m’a dit une chose que je n’oublierai jamais : c’est qu’il faut écouter avec les yeux. Il y a des comédiens qui donnent et ceux qui ne donnent pas. Dans la vie tu écoutes aussi avec les yeux. Il faut créer cette même relation, cet échange avec le public. Tout ça sur scène, je le sens, moi c’est corporellement que je suis un peu handicapée. Je sens les intentions, mais pour les déplacements il faut me dire tu vas là ou tu vas là, ça je ne le sens pas.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Je vis au jour le jour et je trouve que c’est fabuleux. Avec des creux mais je crois qu’il faut tout prendre et tout accepter. Mais pas de façon banale ! Il faut toujours rester actif, même dans l’inaction. Il faut positiver le plus possible. Les accros que tu subis, avec le recul, auront toujours un côté positif, donc c’est constructif pour toi, pour tes rapports avec les gens. Et ils sont indispensables, c’est primordial sinon tu vis dans ta bulle, dans ta prison donc il faut aller vers les gens. Certains n’acceptent pas toujours qu’on aille vers eux, ils sont presque autistes. Donc si on peut servir à ça, à ouvrir des fenêtres tant mieux. Même si ce n’est qu’à une seule personne. Le théâtre ne laisse pas indifférent, qu’on le trouve mauvais ou que quelque chose nous frappe de façon positive. Tout cela dépend et du théâtre et du public, tu joues à deux ! Ou alors ce n’est pas intéressant et pas enrichissant. Pour moi le théâtre c’est un échange ou alors tu fais ça dans ta chambre et tu joues tous les rôles pour tes peluches !
En 2006 vous avez été primée comme étant la meilleure comédienne dans « La Tentation » de Hugo Claus
Oui. Ça ne veut rien dire. Enfin, c’est merveilleux, je ne boude pas mon plaisir, j’étais heureuse comme tout mais il y a tellement de merveilleuses comédiennes qui auraient pu avoir le prix.
Parfois tu as des rencontres « osmosiques » avec un rôle pour ton plus grand bonheur à toi et ça le devient aussi pour le public. Ce n’est pas pour ça que ça veut dire charrette. Tu n’as pas ça toute ta vie mais tu as des étincelles, des rencontres. Même lorsque le personnage n’a pas tellement ton tempérament tu as des choses pour lesquelles tu te dis c’est pas du tout pour moi mais je le sens bien. Des contre-emplois. Et c’est assez étrange, on a plutôt tendance à dire ça je le sens bien, ce rôle-là je peux le faire. Et il y a des rôles où tu te dis j’y arriverai jamais mais tout à coup y’a un déclic qui s’opère et crac boum ! Et c’est ce qui s’est passé avec « La Tentation ».
Le texte était assez difficile parce qu’il n’y avait aucune logique là-dedans mais avec le metteur en scène… du beurre fondant, aussi à l’écoute des gens et un directeur d’acteur formidable. L’atmosphère aussi y était très agréable. On était à trois. C’était formidable. Très dur physiquement mais ce rôle était un cadeau, comme ici le rôle de Maud. Et cette équipe-ci aussi est formidable, on se sent aimé, on est loin des misbrouilles et on travaille tous sur les mêmes rails.
C’est le seul prix que j’ai eu, je n’ai même pas eu celui du plus beau bébé de Bruxelles ! (Rires)
Votre personnage de « La Tentation » avait eu une vie très difficile mais avait toujours la foi. Et malgré cette vie dure, malgré cette triste expérience qui était racontée sur scène, en vous quittant, on ne se sentait pas lourd, on retrouvait la foi.
Des sœurs sont venues voir cette pièce et m’ont demandé si j’avais la Foi. Et oui, oui bien sûr, j’ai la Foi, celle du forgeron, c’est tout a fait irrationnel, je ne peux pas l’expliquer. Bien sur j’ai été éduquée dans une certaine optique de religion mais j’ai ça en moi et je parle à Dieu. Mais je l’enguirlande aussi. Je crois que c’est la vrai foi ça. Ben oui c’est vrai, je crois que prier c’est ça, c’est avoir une totale confiance et si ça ne va pas je lui dis : « Eh Dieu, faites un peu votre boulot ».
Harold et Maud c’est d’abord un film …
Oui et la comédienne qui jouait le rôle avait été choisie comme ça, ce n’était pas une comédienne chevronnée et elle est morte peu après. J’espère que ça ne m’arrivera pas !
J’ai appris aussi que la pièce avait été commandée à l’auteur, Collin Higgins, par Jean-Louis Barrault pour sa femme. Donc c’est grâce à Madeleine Renaud qu’on peut jouer la pièce.
Avec Maud je rajeunis, elle n’a que quatre-vingt ans, l’autre en avait cent.
Maud, c’est un hymne à la vie, avec plein d’étoiles, d’énergie, plein de bonne énergie. J’espère que les gens vont sortir heureux après avoir vu ce spectacle parce que c’est positif. C’est la vie dans tout ce qu’elle a de constructif, de fort et de vérité. De vérité tellement forte qu’elle motive tout, qu’elle régit une vie. C’est la foi en la vie, en Dieu. On met plusieurs noms sur cet Être suprême mais c’est ça, ça conditionne les gens. Il y a un moteur qui fait que malgré les emmerdements on passe outre et notre énergie en est sublimée.
C’est merveilleux comme pièce. Tous les personnages ont quelque chose, qu’ils soient comiques ou tristounets, tous les personnages existent. Bien sûr il y a Harold et Maud qui sont les noyaux, et avec le petit Toussaint, - il a dix-huit ans, c’est pour ça que je dis petit - on s’est sentis tout de suite. Je ne peux pas employer un autre terme parce qu’on sent les gens. On a la même façon de jouer, de sentir, on a la même sensibilité. Claude Enuset est aussi très sensible. C’est pas de la sensiblerie, c’est autre chose être sensible. Ces gens-là et ce rôle c’est Cadeau.
Cela arrive parfois très bien dans la vie, même si on s’en rend compte après. Tout arrive toujours très bien dans la vie, même les drames. Ça a l’air prétentieux ce que je dis et bien sûr ce n’est pas mon intention. Mais même les décès parfois on se rend compte que c’est arrivé au bon moment et pas seulement pour la personne qui n’est plus là. Pour toi qui reste aussi, sinon c’était trop tard ou foireux.
Vous jouez depuis bientôt cinquante ans. Avez-vous vu le théâtre évoluer ?
Sûrement. Mais le théâtre n’évolue pas seul, les gens évoluent, tout évolue et le public aussi. Je crois que maintenant on demande de plus en plus de vérité aux comédiens. Même aux chanteurs d’opéra. On ne veut plus entendre des gens comme il y a cinquante, soixante ans. Les gens ont besoin de vérité, ils sont à la fois plus faciles et plus difficiles à toucher à cause de leurs problèmes. Ils ont besoin de vérité et de sécurité et la vérité c’est la sécurité. Le public demande ça, qu’il s’agisse d’une comédie ou d’une tragédie il faut cette même vérité, ce même engagement.
Donc les comédiens ont forcément évolué aussi. On évolue ensemble, il n’y a pas de déperdition d’énergie. Car tout évolue, il y a des pièces d’avant-garde très violentes, très dures aujourd’hui et que tu n’aurais pas pu voir il y a vingt ans mais ce sont des scènes de vie. C’est ça qui touche le public.
Vous est-il arrivé de refuser de jouer dans certaines pièces ?
Au National on m’avait proposé de jouer la suivante dans Britannicus. Et j’ai dit non, pas un classique, je n’ai aucune formation. Je respecte et j’admire les autres mais moi non. J’ai joué un seul classique dans ma vie c’était l’École des Femmes mais y’a prescription maintenant. J’avais 20 ans. J’ai dit non pour ma petite humilité. Et même si c’est dommage on ne le saura jamais.
J’ai refusé aussi la Baronne dans la Vie Parisienne car je me sentais incapable de chanter. Pourtant j’adore et mes parents étaient chanteurs d’opéra donc j’adore ça inconditionellement, mais pas chanter en public. Parfois j’embête mes voisins, pour mon plaisir et pour leur déplaisir. Non, mais ils sont très gentils. Je m’entends bien avec tout le monde finalement. C’est vrai.
Une dernière chose ?
Que je serve à fabriquer de la joie autour de moi.
Qu’est ce que vous diriez aux jeunes comédiens qui veulent commencer maintenant.
Faites-le !!!
Après ils verront bien eux-mêmes. Qu’ils vivent au jour le jour. Tu as envie : fais-le. Tu verras bien après.
Propos recueillis par Sophie Didier le 11 octobre 2007