Créée en mai 2016 en collaboration avec le centre d’art gantois CAMPO, « Five easy pieces » est une pièce hors du commun et ce, à plus d’un titre.
D’abord parce que ce spectacle, qui met en scène l’affaire Dutroux, prend ancrage dans un contexte plus large, celui de la Belgique de la fin des années 1960, marquée par la décolonisation du Congo et l’assassinat de Patrice Lumumba. L’analyse politique commence avec la culpabilité de la Belgique au Congo et continue en filigrane durant tout le spectacle, notamment par l’évocation des dysfonctionnements ou par le rappel des lieux (Flandre, Wallonie, Charleroi…) et de ce qu’ils évoquent.
Ensuite il y a une sorte de mise en abyme : le spectacle est l’élaboration du spectacle (restitution de l’affaire du Dutroux). Ce choix permet d’insérer des dialogues autour du sujet principal, échanges teintés d’humour, réflexions plus philosophiques et conseils autour des rôles à jouer. Il n’y a pratiquement pas de dialogues sur l’affaire elle-même, ce qui est un choix judicieux, une petite fille faisant cependant sobrement remarquer qu’elle aurait aimé changer l’histoire mais que ce n’est pas possible puisque cette histoire a déjà eu lieu.
Enfin et surtout, les personnages sont incarnés par des enfants âgés de 9 à 14 ans. Ce choix est évidemment très audacieux. Vu le thème abordé (la pédophilie), le spectateur devient-il voyeur ? Au-delà du simple fait de jouer, quel est l’impact que peut avoir la reconstitution d’un tel fait divers sur ces jeunes adolescents ? Ont-ils le recul nécessaire pour se mettre dans la peau des protagonistes ? En particulier, la lecture des lettres de Sabine Dardenne par Blanche, une petite fille de 10 ans (Rachel Dedain), est glaçante. Curieusement (ou pas), ces acteurs en herbe remplissent leur contrat haut la main, simples et touchants, ils sont extraordinaires et captent l’attention du public du début à la fin.
Spécialisé dans l’adaptation théâtrale de faits divers contemporains, Milo Rau a donc une nouvelle fois réussi son pari. Difficile de ne pas être secoué par cette création, qui rappelle l’ampleur du drame vécu par les victimes tout en proposant une réflexion sur l’impact de ce drame. Un grand bravo aussi à ces jeunes artistes (acteurs, musicien, danseur et chanteuse…) qui ont su trouver le ton juste sans oublier de se comporter comme les enfants qu’ils sont entre les « five easy pieces » (découpe de l’affaire Dutroux en 5 monologues filmés). Dérangeant pour certains, remarquable pour d’autres, le spectacle ne laissera personne indifférent.
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