Venu demander un changement de nom, Stéphane a droit à la liste impressionnante des documents exigés par cette démarche. Cependant cet acteur sympathique intrigue la représentante du ministère de la justice. Pourquoi tient-il à ajouter Julien, nom de son père biologique , à Michel, nom de son père officiel ? Sa perplexité lui inspire une batterie de questions pertinentes. Les réponses ambiguës de Stéphane rendent sa demande suspecte. Pour sortir du labyrinthe, il doit écrire une lettre de motivation. La fonctionnaire lui accorde une heure pour la rédiger.
Au lieu de s’y mettre, le comédien nous amuse, en jonglant malicieusement avec des prénoms. Michou, Dany, Juju et Bichette, emportés par la révolution sexuelle de mai 68, ont pratiqué allègrement l’échangisme. Zouzou est conçu hors mariage. Pour garder le secret, Michou, Juju et Dany décident que Michou donne son nom à Zouzou...
Sans arguments, la lettre de motivation réclamée a l’air d’une blague. Mais la représentante de la loi tient à analyser ce "cas". Pour voir plus clair dans "cette histoire un peu louche", elle l’incite à se replonger dans ses souvenirs. Impossible. Voulant absolument l’aider, elle le convainc de participer à une séance de revival. Grâce à ses suggestions, il revit dans le ventre de sa mère, en sort et voit défiler des moments précis de son enfance. Il retrouve avec joie des personnes, des paysages, des maisons, des odeurs...
Cette expérience rapproche Stéphane de Suzanne, l’enquêtrice. Elle aussi a besoin de s’exprimer. Elle lui dévoile les tensions qui déchirent sa famille et le drame vécu par sa grand-mère. Annick Johnson réussit à passer en souplesse, de la fonctionnaire à la mère pugnace, consciente de l’importance de la reconnaissance paternelle et du rôle de l’identité : "C’est une histoire. Elle nourrit, te fait vibrer, parler, penser, hurler, jouir, chialer, chanter. Le reste ne vit pas, le reste est figé."
Stéphane Pirard a évité le piège d’un récit narcissique tournant au règlement de comptes. L’homme en manque de repères, qu’il incarne, nous rend témoins de sa confusion, avec des sourires amusés et des cris de rage. En réchauffant le vécu de son enfance, grâce aux mots et à différentes disciplines artistiques, il prend sa revanche sur la vie. Tout au long de la représentation, le guitariste Julien Lemonnier colle à l’atmosphère des différentes séquences, par des interventions judicieuses. Le décor, choisi par Muriel Legrand, est épuré et fonctionnel. Durant la "renaissance" de Stéphane, Suzanne fait écho à ses états d’âme, par des dessins peints sur des panneaux. Ceux-ci deviennent un écran, où l’on peut admirer les paysages de Botrange, chantés par l’auteur. On y projette aussi les films de discussions entre les pères, imaginées par le fils dépité. Cette diversification a le grand mérite d’aérer le spectacle, tout en maintenant le projecteur sur l’essentiel.