En sommeil depuis 2019 – l’édition 2020 qui devait commencer le 12 mars s’est déroulée sur Facebook Live, confinement oblige, l’édition 2021 n’a pas eu lieu, faute de perspective -, le Festival XS revient, enfin, mais pour la dernière fois. Un nouveau directeur a été nommé à la tête du Théâtre National et qui dit nouveau directeur dit nouveau projet comprenant deux autres festivals : les Scènes nouvelles et les Mots À Défendre. Il a fallu faire des choix dictés notamment par des impératifs budgétaires et le Festival XS en fait les frais.
Lancé en 2011, le Festival XS proposait aux artistes de s’exprimer dans un travail concis, respectant une durée de 5 à 25 minutes maximum. Œuvres à part entière ou esquisses d’un spectacle en devenir – certains spectacles aboutissant parfois même à deux versions qui cohabitent -, les formes courtes sont aux arts vivants ce que les nouvelles sont à la littérature ou les court-métrages au cinéma.
Pour l’occasion, le Théâtre National ouvre ses espaces, tous ses espaces : les trois salles mais aussi le monte-charge, la cafétéria, le studio son, l’atelier couture, les salles de réunion et déborde même sur le Boulevard, … Il est donc possible, d’enchaîner une dizaine de spectacles sur une soirée en changeant de salle, et d’univers, à chaque représentation. Tous les soirs ce sont les mêmes spectacles qui se rejouent ce qui permet, le cas échéant, de dresser son planning sur toute la durée du festival.
« Goupil et Kosmao » d’Étienne Saglio ressemble à un numéro de music-hall des années trente avec de vrais morceaux de magie dedans. Sur un air de piano, arrive un grand échalas en queue de pie et haut de forme tenant une malle qui a beaucoup voyagé. Après deux tours de magie, il en sort une peau de renard qu’il fait saluer avant de la remettre au fond du sac. Mais Goupil veut aussi son lot de feux de la rampe et d’applaudissements, il prend vie pour officier comme assistant, cabotin et farceur, du grand magicien Kosmao.
La cathédrale, lieu de stockage de matériel et de décors tout en hauteur, accueille « Gift Songs » de Virginie Benoist et Julie Calbete. Des chaises sont disséminées dans la pièce où attendent les deux chanteuses, les yeux bandés. Le public est, implicitement, invité à faire de même par le bandeau disposé sur les chaises. Les deux voix qui entonnent, a capella, des chansons traditionnelles de la renaissance ou de nos jours nous invitent à un voyage sonore et sensoriel. Elles déambulent entre les chaises, multipliant les effets de déplacement du son, se déplacent ensemble ou s’éloignent (semble-t-il) parfois l’une de l’autre, créant encore d’autres effets sonores. Privé de la vue, on prend la pleine mesure des reliefs du chant et de l’harmonie des deux voix réunies. Une expérience fascinante et envoûtante.
Étape préparatoire au jeu des comédiennes et comédiens sur scène, la lecture n’a pas vocation à être montrée au public. Céline Delbecq et Sébastien Bonnamy élèvent l’exercice au rang de spectacle à part entière dans les deux premiers volets du triptyque « Les yeux noirs » (mise en lecture de Jessica Gazon). « Phare », monologue d’une femme qui ne sait pas comment échapper à ces déferlantes qui ne viennent pas que de la mer et « Sur la porte du frigo » où la violence s’immisce, insidieusement, dans un couple dont la femme attend leur premier enfant. Deux épisodes, deux histoires différentes, deux variations sur un même thème. Accrochez-vous, ça secoue.
« Trajectoires » préside à la rencontre de la danse urbaine contemporaine de Julien Carlier avec la guitare classique de Gaëlle Solal. Sur un plateau parsemé de câbles reliant le sol au plafond, Gaêlle Solal, tout de rouge vêtue, prend sa guitare et entame la deuxième partita de Jean-Sébastien Bach tandis que Julien Carlier s’étire et gémit avant de se lancer dans des mouvements, nerveux, tendus, presque bruts. Les deux interprètes explorent les moyens naturels et spontanés de se connecter à distance l’un à l’autre. Par moments, la musique, ou le son, accompagne la gestuelle du danseur, à d’autres elle lui dicte sa loi et son rythme.
Dans une société où le virtuel est omniprésent, Marion Alzieu considère que la danse, l’expression par le corps et ses mouvements, est un engagement en soi. Dans « Ceci n’est pas une femme blanche », elle questionne la place et l’identité de la femme dans cette société nouvelle. Face à une identité plus subie que choisie, elle tente de s’en extirper en revenant à l’essence de ce que nous sommes : de la chair et des muscles. Partant d’une position intimiste, timide dans un halo de lumière en bout de scène, elle se meut dans des mouvements contenus, et quelques pointes, avant de prendre possession de tout le plateau dans une gestuelle très physique, énergique, radicale qui semble, parfois, virer au mime. Un solo de danse à l’état pur, magnifique.
Si Ariel Doron entre sur le plateau de « Plastic Heroes » au son d’un chant martial, ses premiers gestes sont plutôt trop chouchou mignons : un tigre qui s’éveille et fait des câlins. Arrive un char d’assaut. Il sera suivi par un peloton de militaires à l’exercice, un soldat allemand qui monte la garde derrière une palissade, un hélicoptère qui évacue des soldats, trois autres soldats qui rampent dont un qui ne voulait pas du tout être militaire. Le marionnettiste Ariel Doron a l’air d’un gamin de huit ans qui joue sur la table du salon, avec le même bonheur et la même conviction. De deux choses l’une, soit il a trop joué aux petits soldats quand il était petit, soit il n’a jamais pu le faire.
Dans « Boxed », Ariel Doron confirme son talent de comédien et de... manipulateur. Il arrive mal fagoté, peignoir orange sur un training rouge, des claquettes sur des chaussettes, un carton à chaussures sous le bras. Lorsqu’il ouvre la boîte, il y découvre, surpris, une main. Il la scrute, la touche, la manipule, et fait avec cette main tout ce que l’on peut faire avec une main sauf que (apparemment) ce n’est pas la sienne. Difficile d’en dire plus sans éventer la surprise, sachez juste qu’il va, ici aussi, au bout de son délire.
Présenté en continu dans une caravane garée sur le boulevard devant le théâtre, « Columbia Circus » de Cécile Léna (Cie Léna d’Azy) nous invite à pénétrer dans l’univers intime de la trapéziste Columbia. Assis dans sa loge, face au miroir, une voix partage les pensées de la circassienne avant de remonter sur scène. Imperceptiblement, la piste qui sera le théâtre du spectacle se dévoile à nos yeux. Dans une autre pièce, on découvre le chapiteau installé place de la Gare où Columbia enfile ses grandes ailes blanches avant de prendre son envol. Ces tableaux, dans des décors miniatures avec jeu de lumière et voix off, sont des fragments, comme des pièces de puzzle, à partir desquels le spectateur reconstitue l’histoire de la trapéziste.
Didier Béclard
Festival XS, du 31 mars au 2 avril au Théâtre National à Bruxelles, 02/203.53.03, www.theatrenational.be. Pass un jour 15 euros, pass trois jours 25 euros.