La table est dressée avec faste au milieu du chapiteau (en dur). Tout autour, une dizaine de table occupées par des spectateurs qui viennent de terminer leur repas (moyennant supplément), puis les gradins et des alcôves.
Quel que soit l’endroit où nous nous trouvons, nous ne sommes pas au théâtre, nous allons tous nous mettre à table...
Les convives arrivent, deux frères se retrouvent, dont l’un avec femme, enfants et bagages et la tension est palpable au milieu des valises. « Michaël n’est pas invité », ça commence bien... Femme, enfants, petits enfants, grand-père, tantes, oncles et neveux sont rassemblés pour célébrer les 60 ans du patriarche Helge. Mais l’ambiance n’est manifestement pas à la fête. Et ce n’est pas l’arrivée d’Hélène, la sœur des deux premiers qui va détendre la situation. Si elle est très bien accueillie, la famille a semble-t-il du mal à fraterniser avec son nouveau petit ami qui est... noir.
Le service assumé par une équipe tirée à quatre épingles commence, les plats défilent, les verres se remplissent. L’argenterie a beau tinter sur le cristal des verres pour prendre la parole, saluer l’homme, le père, le grand père, le complimenter sur l’accomplissement d’une vie qui ne semble pas sans zones d’ombre, d’une vie qui semble s’achever, 60 ans mais plus de projets. L’amertume est beaucoup plus présente que la fête. En dépit des efforts de (l’arrière) grand-père qui ressort les souvenirs les anecdotes, les remerciements, les louanges de l’un ou l’autre, les masques tombent, sourires forcés, enthousiasme feint, jusqu’à ce que Christian, l’autre fils du patriarche, prenne la parole pour mettre les pieds dans la plat, rompre l’inertie, quitte à se mettre tout le monde à dos : « je bois à la santé de l’homme qui a tué ma sœur ». Et la fête se barre en sucette.
L’assemblée tente de faire bonne figure mais le scandale éclabousse tout le monde puisque personne ne semble ignorer de quoi il s’agit, jusque la mère plutôt effacée mais bien consciente des frasques de son mari et qui, comme les autres, a toujours observé un silence complice.
« Festen » s’inspire du film éponyme du réalisateur danois Thomas Vinterberg sorti en 1998 et récompensé à l’époque par le Prix du Jury au festival de Cannes. Vinterberg est le fondateur avec Lars von Tries du mouvement cinématographique Dogma95 en réaction aux superproductions et à l’utilisation d’effets spéciaux pour revenir à un style réaliste et souvent brut dépouillé d’ambition esthétique. Ces films étaient tournés avec du matériel, disons basique, caméras 35 mm à l’épaule. Et le metteur en scène Alain Leempoel a repris l’idée, ou plus vraisemblablement, voulu rendre une forme d’hommage au genre, en intégrant des séquences réalisées « live » par l’un des convives sur des scènes se déroulant sur ou en dehors du plateau.
Que l’on ait vu le film ou pas, le pari est largement réussi, les comédiens (ils sont 20 sur le plateau, 22 avec les enfants) sont justes, dans l’hypocrisie comme dans la colère, le rythme est soutenu et le crescendo de la tension jusqu’au chaos est prenant, même assis dans les gradins le spectateur est littéralement embarqué dans ce drame familial.
Petite mention spéciale pour Mathilde Rault et Caroline Lambert qui entament le spectacle comme hôtesses d’accueil – on aurait pu les prendre pour des employées d’une société d’intérim – mais qui prennent leur place dans le jeu et assurent cette présence et cette prestance de bout en bout.
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