Une femme d’expérience, à la tête d’un des lieux les plus pluridisciplinaire d’Europe...
Vous êtes présente dans de nombreux media et les gens commencent à savoir qui dirige les Halles. Mais, dites-moi, pour commencer d’une manière un peu classique (!), qui est Fabienne, quel est son parcours personnel ?
Tout d’abord j’ai une formation de philosophe, que je revendique, même si elle n’est plus utilisée aujourd’hui au quotidien dans la profession que j’exerce. Cette formation je l’ai faite à l’ULB où je me suis spécialisée en théorie esthétique. Après un séjour de 2 ou 3 années en Allemagne, où j’avais le projet d’écrire un doctorat en théorie esthétique, je suis revenue sur Bruxelles où j’ai commencé à travailler. Mon tout premier emploi était au théâtre Royale de la Monnaie en tant que dramaturge. Mais il ne s’agissait pas d’être une dramaturge de plateau, donc on ne travaillait pas vraiment avec des équipes artistiques. C’était surtout un travail de recherche de textes, de publication de documents et de traduction.
Ensuite, j’ai repris des études au Centre d’étude théâtral à Louvain-La-Neuve, et j’ai commencé à travailler avec un metteur en scène qui s’appelle Alain Populaire. Il m’a engagée comme administratrice de sa compagnie et j’ai donc commencé à travailler très concrètement dans le secteur du théâtre. J’ai également très vite travaillé en compagnie de Michel Noiret (chorégraphe), tout en développant, à peu près à la même période, un travail de dramaturgie de plateau avec un metteur en scène en particulier Pascal Crochet.
Etait-ce votre but de devenir dramaturge ?
C’est venu très naturellement. Le fait est que j’ai cette formation de philosophe, que je m’intéressais à des questions d’esthétique, des questions de fabrication de spectacles, que j’ai une formation extrêmement littéraire et que Pascal Crochet m’a demandé de travailler avec lui sur un projet de mise en scène de « Orgie » de Pasolini. Puis les choses se sont développées de manière très naturelle.
Pendant pas mal d’années, j’ai beaucoup travaillé avec de jeunes compagnies en Communauté Française ; à la fois en production de spectacle (aider à faire un dossier, trouver les subsides, travailler à la diffusion,…), tout en continuant le travail en compagnonnage avec Pascal Crochet. Très vite j’ai donc été en contact avec tout le processus de création d’un projet de théâtre, de toute la chaîne de fabrication du début de la première idée jusqu’à la fin du projet.
Et puis il y a eu un moment clé dans mon parcours professionnel : ce fut le projet « Bruxelles 2000 » où j’étais engagée pour assurer la responsabilité d’une partie de la programmation théâtre et littérature. C’est à cette occasion que j’ai eu l’opportunité de mener un premier projet pluridisciplinaire qui s’intitulait « les métamorphoses » et qui se déroulait dans le cadre des journées du patrimoine. L’idée était de proposer une création, en musique en danse et en art plastique. La réalisation du projet a été un succès !
En 2001, j’ai coordonné une exposition d’art plastique assez importante à Tour & Taxi, qui s’appelait « 30 ateliers 100 jours » ; puis tout récemment « Bruxelles bravo » et un nouvel événement pluridisciplinaire à l’échelle de la ville.
Ça c’est mon parcours…un parcours nomade pendant plus de 15 ans et très riche en expériences…
Aviez-vous un but, une ambition bien précise, vous motivant à faire certain choix plutôt que d’autres ?
Non, les choses se font très naturellement au fur et à mesure des rencontres : une succession de contacts, un réseau qui ce constitue dans le milieu de la culture et le fait de bien connaître (notamment grâce à Bruxelles 2000) la réalité culturelle et artistique de la ville. Je ne me suis jamais donné un objectif lointain. A tel point que, lorsque des candidatures se sont ouvertes en Communauté française (Charleroi Danse, Les tanneurs, et puis les Halles), le déclic s’est fait très rapidement ; je me suis dis que j’avais peut-être la maturité suffisante pour passer à cet échelon-là. Et le moment était venu de m’investir dans un lieu à plus long terme.
Etant une femme, que pensez-vous apporter de plus ou de différent dans votre position ?
Dans le domaine où je travaille, il est intéressant d’avoir une approche plus sensible, intuitive, organique, et finalement très peu théorique (malgré ma formation). Les choses se construisent à partir des observations sur le terrain. C’est vrai qu’il y a quelques femmes qui dirigent des lieux culturels importants (comme Flagey par exemple) ; mais pour moi, qu’on soit un homme ou une femme, ce qui importe c’est ce qu’on fait dans l’endroit où on se trouve et comment on travaille avec son équipe.
Pour le moment on assiste à une énorme effusion culturelle. Des théâtres s’ouvrent un peu partout, les choses changent à Bruxelles et, en quelques années, la culture est presque montrée comme une priorité au sens national et international. Ressentez-vous les mêmes choses et cela vous aide-t-il à oser peut être un peu plus ?
Je suis d’accord sur le fait que Bruxelles change. En 5 années de temps, les choses ont bougé dans cette ville qui est de plus en plus dense, de plus en plus intense. C’est un phénomène qui est aussi apporté de l’extérieur.
Les Halles sont un lieu de diffusion opérant à un niveau international. On est donc en contact avec des programmateurs, des directeurs d’institutions européennes. Et on sent qu’il y a un véritable intérêt pour ce qui se passe à Bruxelles. Et tant mieux ! Maintenant il faut voir ce qu’on en fait, et comment le politique peut s’emparer de cette dynamique artistique et culturelle pour promouvoir la ville.
Concernant les Halles, cela éveille effectivement plus d’audace. On se positionne par rapport aux autres lieux, comme les Beaux Arts (qui ont connu pas mal de changements depuis quelques années).
Ma priorité est de comprendre l’histoire et l’identité des Halles, sa richesse, vers quel horizon va-t-on…
Quelle est l’identité des Halles à ce jour ? Allez- vous faire des changements radicaux dans ce lieu, part rapport à la programmation… ?
Les Halles ont connus un tournant artistique ces deux dernières années. Il y a eu une intensification de la programmation. Depuis 1989 les halles ont reçu le nom de « Centre Culturel Européen de la Communauté Française » ; et donc, dès le début, on a tenté de répondre à cette mission en travaillant au sein du réseau Européen. Cette mission européenne se ressent de manière plus intense dans la programmation depuis quelques années. Ainsi, par exemple, le festival « Temps d’image » est européen.
Les Halles sont depuis toujours un lieu pluridisciplinaire. C’est un Centre Culturel, où l’on trouve de la musique, du théâtre, de la danse, du cirque… Nous ne travaillons pas de manière classique car nous cherchons à confronter les différentes formes d’arts ; d’où le festival « Trouble » qui est plus axé sur la performance.
Nous créons aussi une approche de la littérature, de textes contemporains à travers les programmes intitulés « mille-feuilles », qui sont des rendez-vous en compagnie d’auteurs.
Et puis, évidemment, les Halles sont un lieu de rencontres politiques. Cette dimension politique se retrouve aujourd’hui dans un programme appelé « Apache ». Il y a par exemple eu une auteur Russe : Svetlana Alexeievitch, qui travaillait autour de Tchernobyl, autour de la guerre en Afghanistan, qui a recueilli des témoignages et qui transforme ces témoignages en écriture documentaire.
C’est tout cela les Halles : une quantité de choses qui ne se font pas ailleurs et qui font la spécificité de ce lieu. On veut vraiment densifier la programmation mais surtout dans un souci d’ouverture au public.
Qui se démontrerait par le fait de toucher plus de personnes, différentes catégories d’âge…
On aimerait rouvrir une programmation « jeune public ». On pourrait imaginer un festival « mille-feuilles » pour des enfants. Pour les adolescents et jeunes adultes, nous aimerions organiser des concerts. Les arts du cirque sont toujours appropriés pour un public familial. Et puis nous aimerions aussi mettre sur pied des projets fous, des fêtes…
Les Halles sont un lieu pluridisciplinaire avec une équipe pluridisciplinaire ; c’est ce qui me passionne. Je crois en nos forces, car l’équipe a fait ces preuves, elle est dynamique, vivante…
Propos et photos recueillis par Christy Evenepoel.