A cause d’un tirage au sort défavorable, le fermier August aurait dû faire son service militaire. Mais il y a échappé, en payant un jeune paysan, pour être enrôlé à sa place. Il fallait bien s’occuper des bêtes ! Mais maintenant, il faut fuir. Et vite. Tant pis pour les vaches qui mugissent ! Tant pis aussi pour la famille qui les traite de déserteurs ! August bouscule sa femme Joséphine, qui tient absolument à emporter sa Sainte Vierge. Les voilà sur les routes. Direction : l’Angleterre. Tout à coup, Joséphine perd du sang. Mort-né, leur petit garçon est une des premières victimes de la Grande Guerre.
Victor Vay a été convoqué, comme tous les hommes de 17 à 55 ans, au bureau de recrutement. On lui a recommandé de contrôler sévèrement ses paroles. Quand l’officier allemand, consultant sa liste, s’étonne de ne pas y trouver son nom, mais celui de Jean Vay, Victor lance : "C’est mon frère, mort en vous combattant.". On lui désigne la porte de gauche, celle qui s’ouvre sur les convois de travailleurs.
Boy de quinze ans "qui sait lire et écrire", Angolo était apprécié de ses maîtres. Ils l’avaient ramené du Congo, pour le garder à leur service. Puis cette cohabitation leur avait paru gênante. Et Angolo s’était retrouvé, sur ce quai belge, coincé dans les bagages. Comme une valise abandonnée. Courageusement, il cherche du boulot et en trouve comme portier exotique de l’Eden. Un cabaret où travaille Marianne. Il en tombe amoureux. Mais, malgré ses projets de mariage, il s’engage dans l’armée et part au front.
Continuant à s’entrecroiser, les récits mettent en lumière les souffrances provoquées par l’exil. En Grande-Bretagne, il est de bon ton d’accueillir les "pauvres réfugiés belges". Chez lady Elisabeth, August et Joséphine se familiarisent avec le rite du thé et apprennent la langue. Mais dès que l’Angleterre, entrée en guerre, a des pertes humaines, les réfugiés ne sont plus en odeur de sainteté. Après un voyage épuisant, Victor Vay est logé dans une baraque infecte et fabrique des fils d’acier. Malgré les punitions, il refuse de signer le document alléguant que ce travail est volontaire. Le racisme d’un sergent oblige Angolo à risquer sa peau. Inutilement. Il s’habitue aux missions très périlleuses. C’est toujours lui qui tire la courte paille. "Malheureux au jeu, heureux en amour !" Si c’était vrai...
Oeuvre chorale, "Exils 1914" permet à chaque auteur-interprète d’épauler le comédien qui a la parole. Cette complémentarité donne de la souplesse à la représentation et incite le spectateur à rapprocher les trois parcours, racontés sur des tons pourtant très différents. Dans la peau de Victor Vay, Emmanuel De Candido incarne avec sobriété un homme droit, courageux. Capable de résister aux pressions allemandes, ce pacifiste explose de colère, quand, après la guerre, il subit les questions mesquines de fonctionnaires tatillons. Narrateur souvent ironique, Philippe Beheydt adopte un ton détaché pour nous sensibiliser aux injustices, dont est victime Angolo. Ce naïf ne cherche jamais à se venger. Par contre, il a honte de s’être moqué, avec les autres, de "Bleumerdaucul", le jeune paysan qui chiait de peur. On regrette que le monologue d’August soit moins dense. Pour donner vie à ce fermier, Stéphanie Mangez prend un accent, qu’elle oublie parfois. Plus gênant : elle quitte son personnage, pour réclamer la complicité du public ou lui donner une leçon d’anglais. Des plaisanteries en porte-à-faux avec un spectacle prenant, lancé par un prologue rageur et qui débouche sur des images, où se mêlent les évacués de la Grande Guerre et les migrants de 2014.
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