Bruce Lee s’avance lentement vers son adversaire. Ce « gros porc » d’italien vient de mettre l’un de ses cousins à terre. Pour Bruce, c’en est trop. Il le fixe de son regard d’acier. Avant que l’italien ait eu le temps de dire quoi que ce soit, il lui envoie un coup de pied circulaire dans la tête. Il dit alors d’une voix ferme mais calme : « Quatrième kata. Le petit dragon approche sa proie. » Un nouveau coup de pied surprend l’italien qui cette fois-ci s’effondre, inconscient. Bruce Lee conclut : « Et avec sa queue, il frappe ! ».
Cette scène de « La fureur du dragon », un vieux film de kung-fu des années ‘70, a servi de base à Thomas Gunzig pour écrire le texte de la pièce. Fasciné par les films d’arts martiaux, les films d’horreur, les « survivals » et autres « slashers » depuis l’école primaire, Gunzig s’est appuyé sur cette matière très personnelle pour écrire une histoire d’enfance universelle. On retrouve dans « Et avec sa queue, il frappe » l’histoire éternelle du gamin mal dans ses baskets qui se fait martyriser à l’école. Sauf qu’ici, son père, qui a lui aussi vécu cette situation, entreprend de lui expliquer comment il a trouvé son salut… dans les films d’action. Devant la grille de l’école, il lui raconte sa propre enfance, à la fois fantasmée et dépeinte de façon très honnête, et les scènes des films qui l’ont aidé à grandir.
Au départ, il y a l’envie de David Strosberg (directeur des Tanneurshttp://www.lestanneurs.be/) de travailler sur un seul en scène avec Alexandre Trocki. Mais il manque un texte aux deux complices, qui décident donc d’approcher Thomas Gunzig. L’association est une réussite, le travail de chacun complétant admirablement celui des deux autres. En quelques phrases, sans grande démonstration, Gunzig parvient à poser le cadre de son histoire : un père parle à son fils.
La mise en scène nous plonge intelligemment dans ce récit d’enfance émaillé de scènes de cinéma populaire. Quelques lumières suffisent à passer de la réalité aux films d’action. Tout se passe sous un brumisateur qui distille une légère bruine sur le pauvre Alexandre Trocki. On se demande si le comédien terminera la pièce sans attraper un rhume mais l’effet est réussi : cette fausse pluie colle bien aux souvenirs d’écolier mal dans sa peau et nous rappelle en même temps qu’il y là beaucoup de fantasmes et de scènes de cinéma. Le tout est magnifié par la performance d’acteur de Trocki qui sonne aussi juste dans la tendresse que dans la comédie.
C’est aussi là que réside la seule faiblesse du texte de Gunzig. On rit beaucoup à l’évocation des scènes plus ou moins trash et des maladresses d’adolescent, au risque peut-être de s’éloigner trop vite de l’émotion de départ... Le récit en devient moins touchant.
Qu’à cela ne tienne ! On ne boude pas son plaisir devant « Et avec sa queue, il frappe ». L’on sort de la salle avec une furieuse envie de prendre un abonnement au vieux vidéo club du coin pour, nous aussi, apprendre à avoir le regard d’acier de Bruce Lee.
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