Face à une énième adaptation d’Hamlet on interroge fatalement la pertinence de la démarche. On questionne le sens de chaque « nouvelle version » : pourquoi encore jouer Hamlet ? On s’entendra répondre que Hamlet est la pièce des pièces, une des plus belles et des plus profondes, miroir du monde et du théâtre. Certes, mais à force d’être mâchée et remâchée, ne risque-t-elle pas de perdre de sa saveur ?
Une autre question mériterait dès lors d’être posée : pourquoi retourne-t-on, encore et encore, voir cette œuvre ? Qu’y cherche-t-on ? Que lui voulons-nous ? Questions insolubles bien sûr. Amateurs ou professionnels du théâtre, nous savons que le rapport au théâtre est davantage de l’ordre du passionnel que du rationnel.
Et pourtant, le Hamlet vs Hamlet mis en scène par Guy Cassiers donne des pistes de réponses. Face à la scène, on comprend ce qu’on fait là. On comprend pourquoi on ne peut s’empêcher d’assister à chaque adaptation et, au-delà, pourquoi, soir après soir, on hante les théâtres.
Hamlet est une œuvre totale et l’adaptation qui en est proposée réussit l’audacieux pari d’en rendre compte. Comment ?
Tout d’abord du point de vue du texte. Davantage qu’une adaptation, c’est la rencontre entre les mots de deux écrivains. Tom Lanoye greffe ses phrases à celles de Shakespeare, faisant ressortir la puissance du texte par un ensemble de modifications ingénieuses et une intelligence du rythme. Les interventions ne portent pas seulement sur la forme, elles concernent également le fond. La guerre ici est une réalité qui influence le comportement des personnages. Laërtes ne quitte pas la cour pour la France mais bien pour le front. Le pouvoir, les enjeux stratégiques et le sacrifice d’une génération servent de trame de fond.
Sans actualisation forcée, le caractère concret des enjeux nous les rend proches. L’intelligence du travail dramaturgique permet d’inclure ces éléments nouveaux qui tantôt déplacent, tantôt enrichissent notre habituelle lecture de l’œuvre. Par la proximité de la guerre et ses horreurs, la folie n’est plus seulement fruit de l’indécision et de la mélancolie : il y a vraiment quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark qui scellera le destin de tous les protagonistes.
A cet aspect politique, vient se lier une approche psychanalytique des personnages. Privé par le meurtre commis par l’oncle de la possibilité de tuer le père, Hamlet ne peut devenir homme. Le parti pris consiste à confier le rôle à Abke Haring afin d’insister sur la jeunesse et la force fragile du prince. Cette lecture psychologique s’applique à tous les personnages, nous les dévoilant sous un nouvel angle et ravivant de la sorte notre intérêt pour eux.
Entouré de fidèles et talentueux collaborateurs, Guy Cassiers développe, d’oeuvre en oeuvre, un univers à part. Avec une esthétique formelle pour cadre et le texte de Lanoye pour fond, Hamlet vs Hamlet entraîne le spectateur dans les plis de la matière shakespearienne. A partir de ce matériel qu’il aborde avec méthode et imagination, il propose une authentique création.