« Le monde d’aujourd’hui va trop vite », « ce monde est fou »… Ce style de banales interjetions pourrait sortir de la bouche d’un « vioc » dans le bus. "En toute inquiétude" prend le pari de représenter ces banalités sous les feux de la rampe, et grâce au talent d’un seul acteur. « Papa décentré, père qui se perd, Séraphin se cogne et se blesse en essayant de suivre la cadence » du monde qui l’entoure ; c’est un sentiment que ce spectacle retraduit pour le moins fidèlement.
Jean-Luc Piraux commence son seul en scène par quelques présentations. Il y a d’abord son personnage principal, Séraphin, puis sa femme, Olgave, et leurs fils, Georges et Robert… On ne choisit pas son prénom, s’empresse-t-il d’ajouter. Ces hurluberlus forment à 4 un ménage original, en marge du monde moderne, et dont la précarité oblige à la simplicité. Car oui, leur texte est très simple, limpide, amusant, et rempli de bons et naïfs sentiments. Quelques mots de franglais par-ci, des soupirs prolongés par-là, et hop ! le rire est enclenché ! Le rire est une constante de la pièce, tant et si bien que l’on pourrait en oublier son but réel, de partager l’angoisse profonde et toute humaine d’un homme porte-à-faux avec son temps. On irait même jusqu’à dire que cette incessante hilarité finit par décrédibiliser le malaise initial de Séraphin.
Ainsi, l’acteur interprète tour à tour, et à lui seul, les membres de la famille, et quelques autres, comme dans un tourbillon sans fin. Et ce n’est pas sans admiration que cette performance d’acteur se déroule sous nos yeux ébahis. Olgave, le maître-nageur, Georges, tous racontent la vie ô combien catastrophique de Séraphin, avec un accent tout particulièrement posé sur le frère handicapé de Georges. Complètement clownesque, ce personnage montre à l’extrême le versant « à côté de la plaque » de toute la famille, au point que, parfois, lui aussi fait manquer de crédibilité à l’ensemble de la « distribution ».
C’est d’ailleurs souvent avec ce même frère que Jean-Luc Piraux brise le quatrième mur, et s’engouffre dans le public, pour jouer avec lui. En éclairant la salle, les lumières nous le font vite savoir. Chaque personnage possède son ambiance, d’ailleurs : Olgave a les scintillements d’une boule de bal, le maître-nageur des reflets bleus pour sa piscine ; c’est ainsi que l’espace de la fiction change avec efficacité. La lumière sert aussi, mais trop rarement, à souligner la magie intérieure de Séraphin. Alors qu’il vient de perdre son job, il se retrouve seul, dans un carré de lumière, de longues secondes durant. Cela, ça parle.
Au final, En toute inquiétude traite d’une actualité sérieuse et émouvante –la déroute de nos vieilles générations face à un monde de vie-tesse-, avec la légèreté du rire. « L’humour est la vérité ivre » ; ce dicton y trouve enfin sa vérité. Cependant, un peu de sérieuse vérité ne ferait pas trop de mal non plus.
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