Peu de risques de se tromper en se rendant à une pièce du grand, ou plutôt « volumineux » Tiago Rodrigues. Si son nom ne tinte pas déjà dans vos oreilles, vous pouvez le rencontrer dans sa performance By Heart, à laquelle vous pouvez prendre part dans les gradins ou sur le plateau.
Dix chaises vides attendent religieusement dix volontaires. Ils/elles n’auront pas à jouer la
comédie, simplement à suivre Rodrigues, qui s’improvise professeur de diction, en apprenant par coeur un sonnet de Shakespeare en français. Armez-vous de courage et lancez-vous à coeur perdu dans cette bataille mémorable. Loin des récitations imposées sur les bancs de l’école, l’exercice de répétition croise celui de l’apprentissage du comédien. Jovial, le public n’ose pas se frotter à la moquerie ; chaque hésitation des récitants est soutenue par des spectateurs qui voudraient souffler à leur camarade en difficulté la bonne réponse. En miroir des résistants de Fahrenheit 451, les dix élus endossent l’uniforme de soldats de la mémoire écrite dans une interdépendance de leur savoir oral. Ils combattront à l’aveugle sur les traces de Boris Pasternak ou de Nadejda Mandelstam, poètes dont la résistance à la censure s’est traduit dans un travail de
mémorisation assurant à leur oeuvre une survie qui ne craignait pas le bûcher de l’autodafé.
Au dessus de ce peloton par coalition, plane l’âme de Candida, merveilleuse grand-mère de l’artiste, qui a dévoré tous les livres qui ont croisé son chemin jusqu’à la dernière page de sa vie. À la guerre comme à la guerre, chacun des contacts entre mémoire(s) et livre(s) est examiné, ausculté pendant une heure et demi. Le festin littéraire s’achève dans la beauté et la consolation des mots de Rodrigues-l’hypnotiseur. Il rend à l’expérience théâtrale sa force de frappe politique et conquiert l’ensemble du public avec aisance et auto-dérision. Comme pour les poèmes, nous aimerions qu’il n’ait pas de fin - de citation.
(1) Avec sa pièce Sopro aux Cloître des Carmes du 7 au 16 juillet 2017.