Traversée de Paris ? Non, Flandre-Bruxelles-Wallonie. Cochon, coq, ou âne, qu’importe ? Voyage à pied dans l’espace et le temps. « C’est le cheminement qui importe. » Lors de son voyage entre De Haan (du coq) et Lasne (à l’âne) Laurence fait une trouvaille insolite au bord d’un rang d’arbres de la forêt de Soignes : deux petites chaises pour enfant peintes en bleu. Elles sont porteuses de deux âmes vieilles de plus de cent ans, comme dans l’Oiseau Bleu.
Bon début, la peinture bleue est à peine écaillée. Laurence Vielle va s’empresser d’écouter avec passion le bruissement de la voix de son arrière grand-mère en conversation avec son frère. La jeune femme, encore sous l’emprise de la magie de l’enfance saisit les moindres frémissements des choses et des gens. "Van de hak tot op de tak." c’est la traduction du coq à l’âne en langue thioise. De long en large, la jeune femme se passionne et cherche inlassablement, classe, range et refait surgir l’image déteinte de sa famille. Elle fait reverdir tout un arbre de vie commune. Les uns et les autres se partagent les mêmes racines et viennent s’expliquer. Tandis que la voix de sa mère n’a de cesse que de la conjurer de ne plus remuer le passé, Laurence travaille comme une archéologue. Explorer, étiqueter, replacer, trouver la bonne distance, restaurer les voix contradictoires : résistants contre collabos, francophones contre flamands, occupés contre occupants, les face-à-face sont prodigieux. « L’humain face à l’humain. »
Laurence veut, à travers sa patiente et minutieuse reconstitution, comprendre de quoi elle est faite, essayer de retrouver le fil de couleur qui file l’histoire entre mères et filles. Braver la honte et lever une à une les pierres qui scellent de secrets terribles. C’est toute l’histoire de la Belgique qui y passe, depuis les tranchées de l’Yser. Un tableau poignant qui nous aide à comprendre la superbe des uns la frustration des autres et ce clivage géologique fait du schiste le plus dur qui pourfend la Belgique depuis sa création.
Les moyens poétiques mis en œuvre par l’archéologue familiale sont d’une rare inventivité. La comédienne ne tient pas en place et passionne le public. A vous de découvrir tous les secrets de l’art de la conteuse qui batifole avec tout ce qui lui tombe sous la main et organise un véritable jeu de piste surréaliste. Les voix sont touchantes, la volonté de nager en eau libre enfin transparente est tenace. Ces questions d’identité sont une question de vie ou de mort.
Le spectacle est si émouvant et attendrissant que l’on doit souvent retenir ses larmes. Il y a des paroles terribles : « A défaut de savoir qui on est, on stigmatise qui on n’est pas. » C’est rare de s’abreuver à une telle source d’humanité et de parole juste. Dans sa quête, elle cite Primo Levi et Aragon. Laurence fait plus que du théâtre, elle devient chaque jour un peu plus « Elle » en mille facettes : une métaphore vivante de la Belgique, telle qu’on la rêve, tous les soirs sur le plateau.
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