Le spectacle dresse l’état de cette génération née à la charnière du millénaire, entre la chute du mur de Berlin et celle des Tours Jumelles. Une génération élevée dans la nostalgie de ce siècle qui a enchaîné hapax sur hapax, deux guerres mondiales, un scission géopolitique et la réconciliation. Comment peut agir la jeunesse avec ce passé écrasant ? La réponse réside peut-être dans les mythes et symboles convoqués, entre Icare, dont les ailes fragiles entraînent la chute, et Europe, la vieille terre qui pleure ses morts. Sous nos yeux ravis se crée alors une mythologie contemporaine forte autour d’un personnage-symbole : Pétrone. Né dans le "pays de terril", ce jeune homme grandit dans l’étouffement d’une ambiance mortifère. Autour de ce jeune homme, icône d’une génération en perte de repères, tout n’est que désolation.
Le public se questionne avec lui sur cet héritage - qui va au-delà de la maison en ruine - et ce qu’il peut en faire. Autrement dit, avec le patrimoine que nous lèguent nos ancêtres, quelle part de l’Histoire pouvons-nous écrire ? Et c’est là que réside la force du texte : toutes les questions restent ouvertes. L’auteur nous livre donc son questionnement et nous invite à le suivre, mais à nous de trouver nos propres réponses.
Le décor épuré et brut sert pleinement le texte aux fondations solidement ancrées dans le vrai, et d’une grande expressivité. Se construit alors, avec toute la puissance du mythe, une histoire aux thématiques contemporaines. La mise en scène, quant à elle, marque par une esthétique grunge ainsi qu’un jeu avec les codes théâtraux poussé à l’extrême. Si, au premier abord, ce procédé inhabituel peut surprendre, le jeu est limpide, la compréhension est intacte. Au final, cela offre donc une grande liberté aux interprètes qui prennent en charge chacun des rôles tour à tour, et donne un caractère très brechtien à l’ensemble, ce qui renforce l’adresse au public. Tout cela est soutenu par un rythme intense qui assure au spectateur une immersion complète dans cet univers plein d’humour et de sentiments exacerbés.
Un travail d’autant plus remarquable que l’auteur-metteur en scène assume avec brio un rôle de comédien. Et ses trois partenaires le lui rendent bien : leur jeu net et ciselé soutient merveilleusement ce texte intense.
"Du béton dans les plumes" est un spectacle d’une grande force, qui atteint directement le public et l’invite à de nouvelles pistes de réflexion.
Après un parcours en art dramatique au Conservatoire royal de Mons et une spécialisation en écriture théâtrale à l’INSAS, cet artiste montant signe notamment "Crever d’amour", réinterprétation du mythe d’Antigone, ou "Jean Jean", un spectacle jeune public. Une palette large, donc, répondant à une curiosité artistique qui l’est tout autant. Pour ce spectacle, son travail mêlait écriture de plateau et écriture en chambre. Des questionnaires aux comédiens ont servi de base d’inspiration à une période d’écriture. Une fois le texte prêt, tous les quatre ont pu le mettre à l’épreuve du plateau afin d’y appliquer d’ultimes retouches avant de commencer les répétitions.
Il décrit passionnément son travail dans les pas de ceux qui l’ont précédés, citant des influences comme Koltès ou Cliff. Son écriture, qui mêle lyrisme et poésie, résonne comme une expression directe de l’âme. Un artiste qui mérite donc d’être promu, et rencontré si l’occasion se présente.