Dimanche 8 février 2009, par Jean Campion

Du Fo qui sonne juste

En 1974, au moment de la création de "Faut pas payer", des manifestants, essentiellement des femmes, dévalisèrent les supermarchés de Milan. La réalité copiait la fiction. Dans cette version réactualisée (2007), Dario Fo soutient à nouveau la désobéissance civile, en dénonçant, avec acuité, les injustices de notre société gangrenée par la crise mondiale. "Clown militant", il nous communique sa révolte par une succession de situations loufoques, qui rendent cette virulente comédie, jubilatoire.

C’est avec enthousiasme qu’Antonia revit, devant sa voisine Margherita, la razzia du supermarché. Elle se réjouit d’avoir pu emporter des marchandises, sans les payer, mais elle est surtout fière d’avoir participé à une action juste, contre les patrons. Cependant, quand son mari se pointe, c’est la panique. Bourré de principes, légaliste forcené, Giovanni se sentirait déshonoré par une épouse voleuse. Celle-ci planque les sacs de provisions sous le canapé et son amie dissimule le reste des paquets sous son manteau. Il faudra, bien sûr, expliquer pourquoi elle est "toute gonflée par devant". Avec un culot monstre, Antonia persuade son mari que Margherita est enceinte...

Ce mensonge enclenche le mécanisme du vaudeville. Mais Dario Fo ne se contente pas d’exploiter quiproquos, courses poursuites, claquements de portes et placard habité. Bouffon nourri par les farces populaires et l’art des tréteaux, il utilise différentes ressources. Chaque fois que Giovanni reprend à son compte les paroles d’un autre, il les transforme, par sa fantaisie, en un récit désopilant. Antonia est tout aussi drôle, lorsqu’elle improvise, avec un bagou époustouflant, l’histoire d’une fécondité légendaire. L’emploi extravagant d’objets quotidiens pimente également la farce : le chalumeau à souder allume le gaz ou "regonfle" un policier évanoui et un jeu de marmites encastrables illustre la greffe d’un prématuré. En mimant le travail à la chaîne, Luigi et Giovanni adressent un clin d’oeil au Charlot des "Temps modernes".

La première partie est menée sur un rythme de plus en plus trépidant. Mais, après l’entracte, la pièce tarde à trouver son second souffle. La deuxième séquence s’enlise dans la répétition du chassé-croisé entre le policier contestataire et le gendarme zélé. Il faut le miracle de Sainte Eulalie pour déclencher de nouvelles situations burlesques, qui enfièvrent la scène.

Acteur-joker, endossant quatre rôles, Hervé Guerrisi pourrait mieux souligner le contraste entre les deux flics et surtout composer un grand-père plus pittoresque. Par sa verve et son abattage, Béatrix Ferauge fait d’Antonia un personnage haut en couleurs. Emancipée, lucide, résolue, rusée, imaginative, elle se bat avec l’énergie des femmes qui en ont "marre de leur vie de chien". Pugnacité absente chez Giovanni, incarné avec finesse par Guy Pion, qui nous sensibilise sobrement au désarroi de cet honnête syndicaliste. Pétri de certitudes, celui-ci résiste aux réflexions désabusées du policier maoiste ou au radicalisme de son jeune camarade Luigi. Et puis... s’incline devant la nécessité de la violence. C’est en reprenant aux patrons ce qu’ils ont volé qu’on pourra démentir enfin la formule de Coluche : " Les riches auront la nourriture, les pauvres l’appétit."