Dans sa chambre d’hôtel minable, Jerry Ryan tue le temps. Tout à coup, il se décide à téléphoner à Clara Mosca, rencontrée la veille, dans une soirée. Prétexte du coup de fil : l’achat d’une moto. Comme elle n’a pas plus envie de la vendre que lui de l’acheter, ils se toisent dans un duel à fleurets mouchetés. Des échanges aigres-doux qui masquent mal leur attirance réciproque. Il se moque de ses "tout à fait" et de ses slogans féministes, mais la rappelle pour l’inviter à dîner. Elle se rebiffe, fait mine de refuser... Juste avant de raccrocher, elle lui lâche son adresse. Pour vivre cette histoire d’amour, qui leur tend les bras, chacun devra s’extraire de sa solitude.
Jerry avait une situation confortable, dans le cabinet d’avocats de son beau-père. Mais celui-ci exerçait une emprise étouffante sur le couple qu’il formait avec Tess. Pour retrouver son autonomie, il a demandé le divorce et quitté le Nebraska. S’il veut pratiquer son métier à New York, il doit réussir des examens. Aura-t-il le courage de les préparer ? Sa rencontre avec Clara lui redonne du coeur au ventre. Il cherchait "quelqu’un de faible", qu’il pourrait soutenir. Aider cette femme insouciante à concrétiser ses projets le réjouit.
Clara souffre d’un ulcère au duodénum, qui l’oblige à se ménager. Ces ennuis de santé s’ajoutent à un chômage persistant. Danseuse sans engagements, elle donne des leçons, pour joindre les deux bouts. Une vie pas facile, qu’elle prend du bon côté. Résolument optimiste, elle voudrait chasser les idées noires, qui poussent Jerry à errer sur les ponts, la nuit. Leurs relations ont beau avoir des hauts et des bas, Clara est persuadée que cet homme peut la rendre heureuse. Jerry est bien différent de son ex-mari et de ses nombreux amants de passage. Cependant l’ombre de Tess menace leur amour. Ses messages, ses comportements inquiétants sont des appels au secours...
La première séquence, où chaque personnage ment et se trahit, est lente mais drôle. Jean-Loup Dabadie, qui signe l’adaptation, nourrit ce marivaudage de répliques fort spirituelles. Cependant le cache-cache sentimental s’essouffle. William Gibson, dramaturge habile, le sent et fait protester Jerry. Exaspéré, celui-ci refuse de patauger dans une comédie romantique, au happy end garanti. Les héros deviennent attachants, en dévoilant progressivement leur passé et leurs espoirs. Avec des omissions. La mise en scène sobre de Marcel Delval nous fait écouter ces silences, cette retenue, cette réticence à s’abandonner à l’autre. La pièce se déroule dans les années 60. Jerry et Clara utilisent beaucoup le téléphone à fil. Ces communications laborieuses, qui font sourire à notre époque où triomphe le smartphone, symbolisent leur difficulté à se rejoindre. Tout comme les allers-retours entre la chambre de Jerry et le studio de Clara. Ils freinent l’action, mais confirment la distance qui les sépare.
Dans la peau de Jerry, Mathieu Besnard apparaît d’abord comme très sûr de lui. Mais le macho ironique s’efface rapidement devant un être vulnérable, tourmenté, hésitant à prendre ses responsabilités. Il a du mal à couper les ponts avec Tess : "Elle est ma pire ennemie peut-être, mais c’est ma femme, dans ma chair... Aimer, c’est se détester en se tenant la main." Clara ne manifeste pas des sentiments aussi ambigus. Stéphanie Moriau incarne avec finesse une femme généreuse, sincère et fragile. On est émus par ses crises de jalousie, ses explosions de colère et ses refus de pitié. Tournant le dos à un passé désinvolte, Clara s’accroche à l’idée de former un couple heureux. Sans mièvrerie, "Deux sur la balançoire" nous touche par cette recherche éperdue d’amour.