Pour leur toute nouvelle création, les Baladins du miroir, en duo avec l’Infini Théâtre, ont choisi d’adapter Federico Garcia Lorca, poète et dramaturge espagnol dont les affinités politiques lui valurent une fin tragique, en 1936, aux mains de la guerre civile. Il n’est pas surprenant d’apprendre que la célèbre troupe de théâtre ambulant se soit trouvée des affinités avec Lorca, lui-même directeur en son temps d’une troupe de théâtre itinérant, « La Barraca », apportant les classiques du théâtre espagnol aux classes populaires.
« Désir, terre et sang » synthétise ici la trilogie rurale de Lorca : « Les noces de sang », « La maison de Bernarda Alba » et « Yerma ». En toute simplicité, le titre souligne les thèmes qui traversent le triptyque. Car dans les grandes étendues arides de la campagne espagnole, l’air n’est pas lourd que d’humidité. Sous le poids des non-dits, des traditions et d’une société oppressante, les passions humaines s’embrasent et consument de leur feu l’air qui les entoure, éclairant de leur faible lumière des personnages en souffrance, avant de s’éteindre sans un bruit.
Emblématique du théâtre forain qui est la marque de fabrique des Baladins, le plateau est un grand cercle de bois brut où les histoires se mêlent et s’entremêlent. Les personnages évoluent côte à côte, parfois se croisent, aidés par une scénographie simple mais toujours ingénieuse. D’emblée, le spectacle brise le quatrième mur, intégrant à sa narration Dióscoro Galindo González, « maître rouge » et ami de Lorca, qui parsème la pièce d’anecdotes sur la vie de l’auteur et orchestre le déroulement des trois fables. Le spectacle trouve facilement son rythme, oscillant de manière fluide entre faits historiques et fictions multiples. Comme délicatement posées au milieu d’un jeu de miroirs, les pièces trouvent écho l’une dans l’autre, amplifiant l’impression de suffocation qui les caractérise jusqu’à l’asphyxie. C’est dans cette pluralité que réside la véritable force de cette adaptation qui met exergue les thèmes chers à Lorca, que les interventions de González viennent intelligemment lier à la vie de l’auteur lui-même.
L’action est ici morcelée, éclatée dans un enchaînement qui engage sans cesse l’attention du spectateur. Ce que ce choix de format peut faire perdre en intensité dramatique, il le rattrape par un parfait maniement de la musique. Avec Line Adam à la composition, instruments plaintifs et voix profondes se mêlent dans des hymnes à la joie ou des chants de douleurs qui frôlent le mystique. Face aux transitions les plus violentes, ils nous replacent au cœur de l’action et subliment les émotions.
L’espace de deux heures, la toile tendue du chapiteau nous semble un ciel d’été andalou et nos lèvres retrouvent le chemin de vieilles comptines espagnoles. Un bien bel hommage à un auteur encore malheureusement trop peu connu dans nos contrées.