Monique est catastrophée. Esthéticienne consciencieuse, elle ne se pardonne pas d’avoir raté le dégommage d’une cliente, qui s’est retrouvée à l’hôpital. Pour en rajouter, son mari Walter lui raconte sa journée cauchemardesque. Un illuminé s’est crucifié sur la porte de secours du Brico. Sans payer les clous ! Encore un salaire raboté. Une troisième tuile s’abat sur le couple effondré : la police de la Culture l’accuse de n’être plus allé au théâtre depuis onze ans...
Condamnés à subir un monologue célèbre du Cid, Walter et Monique décollent de la réalité sordide, en se piquant au jeu théâtral. Endossant une dizaine de rôles, ils se défoulent dans des scènes loufoques. Héroïne d’une série "hospitalière", Marie Bistouri assiste avec ferveur le grand chirurgien, qui opère une escalope de veau. Jean-Guy, moulé dans une combinaison rose, espère trouver la zénitude, en dansant avec la grâce d’un pingouin. La mode du nu sur scène crée une tension entre la coquetterie pudique de la comédienne et l’exigence hypocrite de son partenaire.
Parfois la caricature fait la courte échelle au rêve éveillé. Lorsqu’une femme, agacée par le mutisme de son mari, lui lance : "Tu n’es qu’un gardien de parking !", celui-ci s’enflamme et revendique la noblesse de sa fonction. Il garde les autos comme le berger ses moutons. Et fier d’appartenir à cette race, il féconde son épouse, pour prolonger la lignée. Dans un autre sketch, une femme bénit l’accident qui l’envoie au paradis. C’est là que l’homme de sa vie lui dévoile pudiquement son amour.
Fait de bric et de broc, le décor ludique reflète la liberté de ton de ce patchwork drôle et lucide. Par leur spontanéité, leur aisance et leur culot, les auteurs-interprètes nous embarquent dans ce voyage onirique et jouissif. L’impulsivité maîtrisée de Caroline Lambert et le calme désarmant d’Eric De Staercke nous incitent à partager leur plaisir de jouer. A l’affût de la situation absurde, du mot incongru ou du gadget farfelu, on savoure des dialogues, où se mêlent provocation et poésie, cocasserie et sagesse. Comme ces survivants du quotidien, on ressent les bienfaits d’un théâtre décomplexé et libérateur.
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