Le rideau de scène se lève sur cinq personnages figés. Nous sommes dans une usine, l’équipe de nuit est là, en attente. En hauteur, une machine, un morceau de machine indéfinissable capte nos regards. Sa mise en route déclenche le mouvement du travailleur. Le ton est donné, l’homme est aliéné à la machine.
Les déplacements et les gestes sont précis, obéissant aux prescriptions du taylorisme. Quelque chose se fabrique, mais quoi ? L’usine est vide, figurée seulement par cet objet étrange suspendu au plafond et l’immense échafaudage en fond de scène. Ce vide, cette indétermination de la production me semble enchevêtrer la société industrielle à la société post-industrielle. L’une comme l’autre dépossède l’homme de lui-même, en en faisant un rouage du système. Aliéné, l’homme n’est plus maître de ses gestes qui sont déterminés par une structure qui le transcende. Ses phrases sont creuses, sa voix est monocorde, son être se robotise.
« Trainer » peut être abordé en tant que chorégraphie de cette aliénation. Le rythme est donné par les battements et grondements de la machine, la précision et la répétition des mouvements évoquent des pas de danse.
Les gestes répétitifs et les phrases vides dont il a été question plus haut sont efficaces et nous interrogent : ces personnages totalement identifiés à leur fonction sont-ils encore des sujets ? Et ce long monologue poétique prononcé par l’un des protagonistes, est-il une tentative de retour à l’humain ? On peut en effet penser qu’un « je » tente de s’affirmer au moyen de cette parole prise. Est-ce parce que ce retour est impossible que le propos est totalement obscur ?
La pièce n’apportera pas de réponse. Abke Haring, qui a écrit et mis en scène le texte, déclare vouloir « parler de la dépersonnalisation et de la mécanisation de la sensualité », pour cela, elle voit « une chorégraphie de mouvements et de textes ». Cette description suffit à résumer le spectacle. Et c’est bien là le problème. En effet, on voit cette chorégraphie (fort habilement menée) et on comprend instantanément qu’elle parle de la dépersonnalisation (la sensualité, quant à elle, est provoquée par la présence des corps sur scène). Elle en parle, certes, mais elle n’en dit rien. Elle se contente de montrer, de donner à voir. Comme dans toute pièce post-dramatique qui se respecte, le spectateur est posé comme responsable du sens : à lui de le construire en fonction de ses perceptions et connaissances.
Il me semble que dans l’œuvre en question, ce sens reste très faible si on ne fait pas appel à un ensemble complexe de références. Dès lors c’est davantage à une posture contemplative que le spectateur est réduit. Au théâtre comme dans sa vie quotidienne, il observe l’aliénation à l’œuvre. Le parti pris esthétique du traitement de ce sujet, la démission critique dont ce choix témoigne, donnent une vision peu optimiste de l’avenir qui s’offre à nous…