Elle est belle, la rage et le désir de cette jeunesse qui en veut plus de la vie, dont la vitalité se fracasse contre la cruelle banalité d’un monde sans espoir. Un élan de jouissance cruelle que la pièce elle-même peine à contenir, laissant déborder des murs du théâtre cette énergie qui embarque le public avec elle. Tout au long du spectacle, les spectateurs ne se sentiront pas en simples observateurs froids et éloignés d’un spectacle qui se déroule dans l’espace séparé de la scène, mais comme au centre d’un fol manège de musique et de cris, de terre et de pluie. Armel Roussel nous fait sentir la pulsion de cette Vie inépuisable qui monte en nous comme une sève explosive à l’éveil du printemps.
Dans le Studio, difficile de savoir ou s’arrête le plateau et ou commence la salle, théâtre et vie s’entremêlent dans une exaltation des pulsions de vie et de mort qui traversent la pièce de Wedekind. Dès l’entrée dans la salle, les spectateurs sont accueillis dans une ambiance de fête par le duo Juicy. Ces deux jeunes bruxelloises, dont le premier album vient de sortir, se sont fait connaitre pour leurs reprises de tubes du hip-hop des années 90, et leur questionnement ironique de la place du corps féminin dans cette culture-là. Elles assureront une trame musicale tout au long du spectacle. En amenant dans la salle une énergie et une ambiance de concert, elles participent à cette fusion entre la vie et le théâtre que Roussel a si bien réussi à saisir dans cette pièce. Les comédiens ne se limiteront d’ailleurs pas au plateau, envahissant autant les sièges des spectateurs que les escaliers tout au long du spectacle. Moritz, Wendla, Melchior, personnages principaux de la pièce, semblent être conscients de n’être que des personnages de théâtre, mais ils en n’en démordent pas. Et quand, à la fin du spectacle, la tombe de Wendla – morte des complications d’un avortement clandestin- et celle de Moritz- qui s’est suicidé, rendu fou suite à son échec scolaire- sont dressés sur scène, les tombes voisines sont celles d’Ophélie- une des martyrs innocentes les plus iconiques du théâtre occidental-, d’Hamlet et de Roberto Zucco, clin d’œil à la pièce de Koltès qui fut la première mise en scène de Roussel.
Représenter l’adolescence sur scène est toujours une affaire délicate. Trop souvent, metteurs en scènes et acteurs adultes projettent une adolescence fantasmée qui rate le coche, proposant rien de plus que des caricatures allant du peu convaincant au carrément grotesque. Roussel et sa belle bande de comédiens taclent cet écueil avec brio, ne se laissant pas tenter par un désir de réalisme condamné d’avance. De l’adolescence, les personnages de Wedekind sur le plateau du National ont gardé l’urgence de cette vie qui s’exprime en eux, ce refus de s’accommoder des vies insatisfaisantes que semblent leur réserver leurs parents et professeurs. Mais aussi cette rage de se demander pourquoi ils sont là, ce besoin de demander des comptes à leurs géniteurs pour l’irresponsabilité de les avoir amenés au monde, alors que celui-ci n’est qu’une farce immonde.
Suicide, viol, avortement, prostitution : les thèmes qui traversent l’Eveil du printemps ne sont pas des plus tendres. Pour autant, ce n’est pas une pièce triste qu’a monté Armel Roussel, mais pour reprendre ses propres mots, « une comédie parcourue de tragique ». Sur scène, les corps s’entrechoquent, se dénudent pour tenter de mieux ressentir cette vie qui bouillonne dans leurs veines, pour mieux tenter d’éprouver ce monde qui s’offrent à eux. Dans le courant du vingtième siècle, un autre auteur, Artaud, rêvait d’un théâtre de la cruauté, un théâtre qui montrerait se sang qui bouillonne dans nos veines. C’est bien cela que Roussel et sa bande nous offrent ici.