Élément central de cette chorégraphie, un grand cadre de métal entoure la scène. Des élastiques sont tendus sur deux niveaux perpendiculaires, dont le croisement produit pour le regard du spectateur l’illusion d’un vaste quadrillage suspendu à un demi-mètre du sol. Cependant, le spectateur ignore cette "élasticité" dans les premiers instants de la représentation. Évoluant au sol, les danseuses Nora Alberdi et Raffaella Pollastrini évitent soigneusement tout contact avec ce plafond de lignes tendues. Cette attitude craintive donne l’impression que ce grand réseau de câbles nous menace par sa rigidité supposée, tel un filet de métal froid et tranchant. Huit feuilles de papier blanc pendent mollement, comme du linge immaculé. Nos danseuses les tirent, les repoussent, les font glisser. Elles semblent découvrir prudemment ce monde à l’image d’insectes rampants.
Puis elles découvrent (et le public également) que leur prison est poreuse et molle. Ce qui semblait immuable devient soudain un grand tissu, souple et malléable. Les danseuses se relèvent, éprouvent les limites de cet univers en repoussant les mailles à l’aide de leur corps. Elles tirent un point de la trame, produisant ainsi un soulèvement général de toute la structure. Elles créent des montagnes, creusent des vallées. Des formes illusoires semblent émerger des multiples torsions qu’opèrent les danseuses sur les élastiques. Mais toujours le quadrillage revient à son état initial. Malgré l’énergie qu’elles déploient pour s’approprier le monde qui les entoure, elles demeurent impuissantes à le transformer. Les voici plus calmes, résolues à respecter ce grand réseau qui existait avant elles et qui leur survivra. Elles enjambent désormais les élastiques, quoiqu’elles ne courent aucun danger. Tout redevient lent. Si elles se tiennent debout, elles finissent néanmoins par se soumettre à ce monde quadrillé.
Faut-il voir dans ce silencieux ballet une longue allégorie de la condition humaine ? Les interprétations peuvent être foisonnantes face à une proposition aux multiples symboles. Deux jours après la représentation, je me dis que cette chorégraphie ne manquait ni d’intelligence ni de créativité. A l’évidence, il se dégage une profonde réflexion derrière cette proposition scénique. Sans nul doute, je retire un plaisir intellectuel a posteriori dans l’herméneutique de ce spectacle, mais... je dois m’autoriser à dire que durant l’heure où j’étais installé dans mon strapontin, à observer dans le silence et le calme ces deux corps au travers des mailles vibrantes d’un cadre central, je me suis profondément ennuyé. Et ce n’est guère en raison d’une certaine « longueur » ou je-ne-sais-quelle « il ne se passe rien », car il se produit des événements tout au long du spectacle. Mais rien n’y fait, ce n’est ni envoûtant ni révoltant. Les images sont intéressantes mais manquent de puissance évocatrice. Quant à la musique, elle ne flatte jamais l’oreille, se contentant d’installer un climat sonore clairsemé de murmures. Seul le concours de la raison peut aider à raccrocher à cet étrange ballet.
Est-ce raté ? Paradoxalement, je ne le crois aucunement. Techniquement, tout est irréprochable, on ne peut aucunement prétendre qu’un élément soit incohérent avec l’ensemble de la proposition. C’est intelligent à bien des égards mais l’absence de vie empêche que l’on s’y plonge totalement. Cela demeure un concept en mouvement, sans chaleur. Le critique trouve cela intéressant, le spectateur s’est endormi.
Charles-Henry Boland
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