Un autre temps. Un autre endroit. Une même colère qui gronde. Nous ne sommes pas à Thèbes mais dans un pays d’Afrique, au lendemain de la guerre civile. Alors qu’un nouveau régime se met en place, la paix résonne dans les rues en fête. Sur les ruines encore tremblantes du champ de bataille, les jeunes hommes, avides de jouissance, se saoulent du corps des femmes et de plaisirs violents. Sourde à ces éclats de joie, Antigone s’enferme dans le deuil et la colère. Pour offrir une sépulture à son frère, ennemi de la cité, elle s’acharne seule contre les lois, portant sur ses épaules insoumises le poids de l’histoire et du sacré.
Crever d’amour se dévoile dans une forme brute et poignante. Sur une scène nue, dépouillée de tout artifice, les personnages apparaissent, s’éclipsent, se cherchent et se chassent, à mesure que les bruits étranges et les voix éclatent, brisant le profond silence. Désireux de proposer un langage contemporain au mythe antique, Frédéric Dussenne porte à la scène un chœur de jeunes issus de la diaspora africaine. Dirigé par le chorégraphe Serge Aimé Coulibaly, ce chœur moderne prolonge une parole par le mouvement des corps débridés ou brutalisés, qui s’unit en harmonie aux mots déchirants du talentueux Axel Cornil.
D’une saisissante beauté, le texte du jeune auteur montois fait résonner la rage et la douleur d’Antigone, prête à tout pour étancher sa soif de justice. À travers les thèmes de l’engagement et du sacrifice, Axel Cornil et Frédéric Dussenne nous parlent des jeunes générations d’aujourd’hui. Soutenus avec intensité par des comédiens belges et africains, les personnages sont ici animés du désir ardent d’être aimé, de jouir, d’être libre, de changer, de se souvenir ou d’oublier.
Véritable éloge à la parole, Crever d’amour enivre par les mots et les silences qui transpercent les murs du Rideau de Bruxelles. Malgré quelques longueurs, cette tragédie cruellement actuelle interroge avec brio les valeurs et les croyances de notre civilisation occidentale.
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