Le plateau est presque nu. Des structures filaires jaunes pendent du plafond, deux hauts parleurs sur chariot, des femmes, des hommes, immobiles dans la pénombre. Des voix échangent des instructions sur fond de violon (Wietse Beels) et clavier (Lea Petra) qui cherchent à s’accorder. Dans le silence qui s’impose, les gestes des danseurs sont doux, sobres, hésitants. On entend le bruit d’une page de partition que l’on tourne, la musique vient, un haut parleur se déplace. Les mouvements à peine ébauchés, comme suspendus dans leurs élans, sont pourtant réels, les danseurs semblent amorphes, sans énergie. Le déplacement des hauts-parleurs provoquent l’agitation des structures modulables jaunes, elles s’ébrouent comme porteuses du souvenir d’une vitalité disparue.
« If Only », de Thomas Hauert, s’inspire d’un morceau de John Cage, « Thirteen Harmonies », adaptation pour violon et clavier de la partition de « Apartment House 1776 ». Cette œuvre, composée pour la célébration du bicentenaire de l’indépendance des États-Unis, assemble des pièces chorales de compositeurs coloniaux dont il manque certaines notes, comme pour gommer des épisodes d’une histoire pas toujours glorieuse. Les fragments des compositions originales surnagent dans un océan de silences mystérieux comme les vestiges, les dernières traces d’une histoire dont le sens n’est plus évident.
La découverte de cette œuvre a provoqué chez Thomas Hauert un sentiment, émotionnel mais réel,de malaise inspiré par une époque qui, crises écologique, économique, migratoire et politique obligent, a des relents de fin du monde. « Dans ’If Only’, on se laisse envahir par cet état très sombre qui ôte toute envie de danser », dit le chorégraphe dans une interview. C’est un sentiment désenchanté qui l’a guidé dans ses recherches mû par un besoin de ralentir la cadence pour se réapproprier le temps et explorer d’autres formes de présence, dépouillées, apparemment sommaires, qui ne cherchent pas à séduire à tout prix.
Les corps affranchis d’une obligation de performance évoquent les souvenirs des danses précédemment créées par la compagnie. Ceux-ci restent toujours dans la mémoire et dans le corps de celles et ceux qui les ont interprétées comme le gage d’un instinct de vie préservé. Tout semble déstructuré et pourtant ces réminiscences de danses passées ont fait l’objet d’une écriture minutieuse du mouvement et sont portées par la force de ces gestes désabusés.
Didier Béclard