Si l’histoire est connue, le texte lui donne un relief tout à fait particulier. La marionnette que taille Pommerat est d’une insolence crasse, ce qui n’est pas sans rappeler certains comportements parfois très actuels : rapport à l’apparence, à la richesse, superficialité et consumérisme à l’extrême. Et sa naïeveté ne la sauve pas, tant toutes ses relations sont teintées d’égocentrisme. Pinnocchio ici a tous les défauts attribués à l’enfance : fortes pulsions, absence de réalisme, soif de beauté
Mais dans cette structure traditionnelle, le metteur en scène revisite le conte. Pas de renard ou de théâtre de marionnette à l’horizon, mais des traders, des discothèques, des commerçants malhonnêtes. Tout à coup, une dimension très actuelle voit le jour, et attire l’attention : on ne peut s’empêcher de voir là une référence à la Bourse, là ce contrat dont on n’avait pas lu les clauses, là le Pays qu’on nous a vendu et où maintenant on trime littéralement comme un âne.
Pour nous raconter l’histoire, Pommerat met en scène un étrange personnage tout de blanc barbouillé. Inquiétant narrateur dont la dégaine à plus d’une reprise rappelle la marionnette, comme une allégorie de la Parole ou du Théâtre, qui nous promet dès les premières répliques qu’il ne nous mentira pas. Ce parti pris ouvre donc le spectacle dans une dimension du bizarre confinant parfois à l’angoisse, sentiment appuyé par le rythme du spectacle et la grande technicité de la mise en scène : machinerie, changement de décors, effets lumineux incroyables, ...
C’est donc une critique acérée de nos sociétés occidentales où richesse et profit riment avec réussite que nous livre le metteur en scène à travers cette histoire du grandir, où l’on voit un enfant traverser le chaos de la vie, chercher à la rendre plus intense et toujours plus belle, pour finalement acquérir l’expérience qui fera de lui un homme. Cette transition, nous rappelle Pommerat, ne se fait pas en un jour ni d’un coup de baguette magique : elle prend du temps, et s’effectue petit à petit.