Yuntian Liu (Chine, 23 ans)
Après avoir étudié au Conservatoire de Musique de Xinghai, Yuntian Liu poursuit sa formation aux États-Unis. Il s’est produit dans plusieurs villes américaines, chinoises et européennes, en récital ou en soliste. Premier lauréat du Concours International de Wiesbaden, en 2004, il est également lauréat du Concours National Golden Bell, en Chine (Médaille d’or, 2004) et du Concours International Horowitz pour jeunes pianistes, en Ukraine (2e Prix, 2007).
Le malicieux Yuntian Liu révèle une intériorité poétique marquée dès son entrée dans les Sonetto 123 del Petrarca (Franz Liszt). A la surprise de l’audience, il n’hésite pas à muser la mélodie et convoque sous ses doigts une douceur de sonorités très colorées. Il plonge dans le romantisme qu’il semble savourer avec bonheur. Moelleux, souplesse de la rêverie musicale. On croit dès lors que toute l’exécution de son récital sera caractérisée par le raffinement des sonorités et portée par une exaltation profonde.
Il enchaîne tout de suite son Dream (Frederic Rzewski), connu par cœur, une perle d’exécution pianistique. Il fabrique les trilles les plus impérieuses de tous les candidats. Elles jettent l’auditeur dans les tensions intenses des différentes facettes du ying et du yang. Des forces sombres et claires s’opposent avec énergie au sein de l’immensité poétique. Devinez quelles seront ses 4 dernières notes suspendues à mi-course du rêve et qui se brisent soudain sans prévenir ? Quatre délicates notes de yang, sans nul doute !
Crescendo dans l’audace et la construction de son programme, Liu laisse là la poésie pour tâter du chaos, de l’inquiétude et de la guerre. Sa Sonate n. 6 en la majeur op. 82 (Sergey Prokofiev) explose de sensations fortes et fracassantes. De la matière musicale veloutée surnage ici et là dans les éclaircies lyriques, mais très vite les accents parfois jazzy se mutent en notes piquées brutales, en accords abyssaux. La frappe de l’Orlando furioso chinois devient acharnée, les triolets rapides lancinants se culbutent avant d’aller sonner le glas à la main gauche. Chevauchée ardente et déferlements d’octaves envahissent le clavier, c’est incandescent, méphistophélique et sarcastique. Yuntian Liu a le sens de la narration… Passent des pantins désarticulés. Le pianiste fait des moulinets avec sa main droite avant de lancer les derniers cataclysmes. On ne peut s’empêcher de penser à du Stockhausen !
Son Concerto n. 17 en sol majeur KV 453 (Wolfgang Amadeus Mozart) d’une précision absolue, superbement charpenté et mélodique présenté le premier jour des demi-finales semble bien loin de ce récital trépidant. Tout le monde se souvient encore de sa très belle expressivité et de la beauté de ses timbres. Le jury sans doute aussi !
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Andrew Tyson (USA, 26 ans)
Ses parents adorent la musique mais ne sont pas musiciens. Le jeune pianiste débute sa carrière concertante à 15 ans à New York. Elève de Robert Mc Donald à la Juilliard School, il remporte le cinquième prix au Concours de Leeds en 2012. Il écume les plus prestigieuses salles de concert américaines mais donne aussi des concerts chez lui. Il voyage en Europe (Suisse, Portugal, Pologne), au Mexique ou en Nouvelle-Zélande, tant en soliste avec différents orchestres américains qu’en musicien de chambre, avec des partenaires comme R. Díaz, R. Kirshbaum, J. Silverstein, Ray Chen.
Son Concerto n. 21 en ut majeur KV 467 (Wolfgang Amadeus Mozart), présenté dès le premier soir de la demi-finale a séduit d’emblée, quelle classe ! De l’émotion juvénile véritable couplée à une virtuosité impeccable. Sa cadence très personnelle, intense et lumineuse, éclairée par le sourire intérieur le place tout de suite au rang des pianistes que l’on rêve de suivre jusqu’au bout. Qu’à cela ne tienne, puisqu’il nous emmène avec tant d’intelligence et de goût. Il est à l’écoute de l’orchestre, jetant souvent des regards furtifs vers les violons alto et semble éprouver du plaisir. Son récital sera étincelant.
Après un Dream (Frederic Rzewski) hiératique en hommage à la musique contemporaine, il convoque avec autorité naturelle tout l’esprit du compositeur dans La Partita n. 1 en si bémol majeur BWV 825 (Johann Sebastian Bach). ll égrène de ses longs doigts des nuances généreuses. La main gauche se prend pour un violoncelle et la main droite est aérienne. Mais voici Le jeu des contraires (Henri Dutilleux) où il s’élance avec jouissance. Il crée des sonorités vibrantes, jouant par à-coups d’inspiration lumineuse. Il nous plonge avec audace dans l’envers des choses, s’aventure dans des sentiers inconnus, émiette des bulles de cristal, gronde des rages contre le monde, court-circuite les émotions et captive l’audience par ses fulgurances.La Sonate n. 3 en fa dièse mineur op. 23 (Aleksandr Skryabin) fait preuve de dramaturgie puissante. Il cerne les soubresauts et les tortures de l’âme avec conviction. Peu à peu émergent des débris de valse. On assiste à une débandade sonique, les doigts pirouettent dans les gerbes d’accords sombres. L’esquisse de bonheurs tranquilles affleure en fondus enchaînés. Devant la fonte des sentiments et la fuite du temps, seule la musique sans doute est divine et consolatrice. Le pianiste s’en prend à la réalité dure et rebelle, la saisit par les cheveux et lui fait courber la tête avant de se fondre dans les bras de la mélodie retrouvée. On reste pétrifié devant tant de talent naturel.
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Dominique-Hélène Lemaire