On sait de lui qu’il a étudié la composition, le contrepoint et l’harmonie après des études de violoncelle et de guitare. En 1997 il a suivi des cours d’analyse, d’orchestration, de musique et d’ethnomusicologie de l’Inde. Soucieux de faire connaître la musique de son temps, il fonde en décembre 1998, avec le compositeur Jérôme Combier, l’Ensemble Cairn. Du nom de ces petits amas de pierres que l’on trouve en montagne et qui servent de repère aux autres promeneurs qui y ajoutent chaque fois une nouvelle contribution. Michel Petrossian, (dont la racine est le mot Pierre) est arménien d’origine et s’est intéressé passionnément aux textes bibliques et aux langues anciennes, sémitiques en particulier - hébreu, ougaritique, araméen et akkadien. Il a obtenu également une licence de théologie. Il enseigne à l’Ecole des Langues et des Civilisations Anciennes et à Paris IV La Sorbonne. Il entreprend actuellement une synthèse à partir de sa double compétence philologique et musicale afin d’articuler une écriture vocale qui renoue, « dans une démarche consciente de l’histoire, avec des traditions anciennes où le son et le sens sont articulés ensemble dans une relation inextricable avec le transcendant. »
La phrase écrite en exergue du programme du concours par la reine Fabiola prend ici tout son sens : « La musique nous conduit vers une ‘commune union’ de passionnés de toutes conditions, races, et cultures – ceux d’aujourd’hui et, espérons-le aussi de demain. La musique touche le cœur par les sens. » L’Essence ? « Elle traverse le temps sans jamais cesser de pointer vers ce qui la transcende et ce qui est au-delà de l’espace et du temps. » Si ces objectifs ont été inscrits dans le concerto qui vient d’être primé par le Grand Prix International Reine Elisabeth de Composition 2012, les candidats qui ont dû s’y atteler pour le découvrir, l’étudier et l’interpréter en huit petits jours, isolés à la Chapelle Musicale sans aide ni contact avec l’extérieur, auront eu fort à faire pour venir à bout de cette œuvre périlleuse ! Non seulement les candidats doivent jouer une œuvre dont le jury suit la partition des yeux pendant la performance, - et il ne s’agit point d’un anglicisme - mais leur appréhension profonde de la musique est elle-même en jeu et sondée par le jury prestigieux. Il s’agit de comprendre une langue, celle de la musique, par ailleurs, universelle qui ouvre la porte sur l’essentiel. La porte est grande ouverte sur la créativité, certes, mais cette porte est à la fois très étroite, car il faut passer par la difficulté extrême de la partition et ne pas sauter la moindre mesure. Seront « grâciés » ceux qui en dehors d’une technique parfaite auront su accéder à l’interprétation profonde du texte. En parlant de « grâce » Michel Petrossian admet que c’en est une extraordinaire, que de se trouver joué 12 fois d’affilée par la jeunesse la plus talentueuse du monde, aux côtés de tout grands compositeurs comme Haydn, Beethoven et Tchaïkovski pour ne parler que des compositeurs de ce soir.
La recherche et la complexité sonore de l’orchestre est évidente. Nous avons demandé à Michel Petrossian comment le rôle de soliste pouvait être appréhendé dans ces conditions, puisque le piano doit vraiment se glisser dans de minces interstices laissés par l’orchestre. Il y a bien deux petits solos, vers la fin de l’œuvre, mais ce n’est pas cela l’important, réplique-t-il. L’important et le compliqué à la fois est d’être le lien et d’irradier vers les autres pour mettre les autres instruments en valeur, faire vivre ou revivre leur humanité. Construire l’éternité d’un dialogue incessant. Au cœur d’une bruissante tour de Babel ? Babel, la porte des dieux ? Vieux rêve ! Souvenirs aquatiques d’un croissant fertile à la verte nature. Le piano qui déjà est le roi des instruments par sa nature orchestrale doit avoir la grâce de se glisser humblement dans l’ensemble, avec les autres et pas par-dessus les autres. Belle leçon de vie et de solidarité. Le pianiste a pour fonction de faire naître l’esprit musical entre les différents instruments grâce à un éventail de techniques pianistiques en renaissance constante.
On retrouve dans cette pièce une diversité étonnante d’instruments parmi les percussions et les cuivres. La harpe et les cordes assurent des pulsations vitales, ou bien est-ce le piano lui-même qui par-delà l’espace-temps, est devenu cette quatrième corde des temps babyloniens en prise directe avec la divinité ? Car c’est cette lyre babylonienne qui est à la source de l’œuvre : « Une lyre qui se défait sous la pression du temps, et une corde au milieu qui veut maintenir la permanence, de par son lien à Ea, divinité des eaux souterraines et créateur des arts. Elle est l’emblème de la musique babylonienne elle-même, immatérielle et ineffable, mais véhiculée par des instruments périssables et des voix qui se sont tues depuis longtemps. » Cette tension entre permanence et impermanence est inspiratrice de l’œuvre. Une œuvre qui réjouit l’imaginaire. Ce qui se joue en grand et en prophétique ici, c’est le même esprit poétique d’ouverture qui animait le morceau imposé de la demi-finale : Dream de Frederic Rzewski. « Le piano, image de la quatrième corde, vit des histoires de renaissances multiples, au rythme d’un mouvement aquatique. Tel un prophète élégant qui se meut au travers de courants fluviaux, il lutte par deux moyens (une note répétée et une phrase musicale tantôt verticalisée tantôt étalée) et en deux directions contraires à l’égard de l’orchestre : en s’opposant, et en cherchant à rallier. L’orchestre, lyre amplifiée, s’abîme dans la dispersion, mais en est empêché par le piano, corde ‘faite par Ea’, qui lui communique des élans renouvelés et maintient la volonté de permanence. La forme générale de l’œuvre procède par défragmentation, à l’image d’une civilisation qui subjugua l’Orient et dont il ne reste que quelques éclats de splendeurs découverts au gré des fouilles, sur une terre toujours agitée. »