Deux jeunes adultes se sont donné rendez-vous dans un endroit indéterminé. Pour parler. L’auteur ne leur attribue ni nom ni prénom. Ces trentenaires, qui vivent à Bruxelles, aiment se mettre en boîte. Leurs chamailleries nous révèlent que "l’un" est arabe et "l’autre" juif. A certains moments, les préjugés rendent les échanges plus explosifs. L’Arabe se révolte contre des a-priori. Pourquoi stigmatise-t- on "les" bicots, "les" bougnouls", "les" melons, "les" noirs et jamais "les" blancs ? Le Juif, qui en a marre de tout, se rebiffe contre les grands, "ces loups qui nous prennent pour des moutons". Tous deux haïssent ce charognard de Trump. Mais l’un surprend l’autre, en avouant qu’il se taperait bien sa poule de luxe : "Faut rêver plus haut que soi, mon vieux".
La conversation flottante se durcit brutalement. Avec virulence, l’Arabe dénonce la montée des populistes en Autriche, en Hongrie, en Pologne... Une peste brune qui se propage également en Belgique. Comment réagir face au repli identitaire, au racisme décomplexé, à la renaissance du fascisme ? Les minorités sont-elles capables de s’allier contre un ennemi commun, qui se joue de leurs disputes ? En annonçant qu’il a kidnappé un "bekemde vlaming", chef d’un parti xénophobe, l’Arabe entraîne le Juif dans son combat. D’abord sceptique, celui-ci se réjouit de cet enlèvement méticuleusement préparé. Mais la menace, que représente le politicien ligoté, provoque des échanges de plus en plus tendus. Pas de concessions. L’un se bat rageusement contre la peur paralysante. L’autre se défoule, panique, puis se rebelle. Des affrontements à coeur ouvert et à revolver braqué.
On s’interroge sur l’issue de l’intrique, mais la pièce n’est pas un polar à suspense. Elle vise avant tout à faire entendre la colère, les craintes et le désarroi de minorités issues de l’immigration. En préambule, les protagonistes sont bombardés d’images de violence et de haine. Même si chacun avoue aimer la soeur de l’autre et se confie brièvement dans un aparté, on cerne difficilement leur personnalité et leurs liens. Ils sont les porte-parole d’un auteur indigné par l’apathie d’une société, qui se voile la face. Pour respecter les tics des jeunes d’aujourd’hui, celui-ci truffe leurs répliques de "bordel" et de "putain", mais c’est bien son style cinglant et maîtrisé qui leur donne du punch.
Une puissance remarquablement exploitée par deux comédiens impressionnants. Lucide, convaincu, agressif, inquiétant, Soufian El Boubsi mène le jeu avec fougue et domine le duo. Dans le rôle du Juif, Eno Krajanker montre que ce jeune défaitiste est capable de surmonter sa trouille pour, lui aussi, se révolter. Angoissé par les bégaiements de l’histoire, Hamadi lutte farouchement contre un parti politique qui, divisant pour régner, excite l’antagonisme entre les minorités. En se parlant, en remuant ce qui fâche, ses héros amorcent le dégel des idées toutes faites. Celles qui entretiennent la peur de l’Autre. Cependant cette confrontation tumultueuse débouche parfois sur une certaine confusion. Contrairement à "Sans ailes et sans racines", qui distingue nettement deux visions du monde. Après s’être dit avec conviction leurs vérités, les personnages de "Comme la hache qui rompt la mer gelée" ressemblent à Vladimir et Estragon, les héros de Beckett. Ils attendent.
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