Combat de nègre et de chiens
Quelque part en Afrique, un ouvrier a été tué sur le chantier d’une entreprise européenne. Alboury, son frère, s’introduit mystérieusement dans la cité où vivent les Blancs pour réclamer son corps.
Le « combat de nègre » d’Alboury a une valeur mythologique et un sens actuel. Son entêtement, son opiniâtreté, sa résistance révèlent les contradictions des « chiens », leurs fantasmes, leur ignorance et leur mépris.
Il y a dans cette volonté farouche de cacher la vérité, du désarroi sincère. Il y a dans cette recherche à faire payer à l’autre le prix de sa solitude, de la cruauté et de la drôlerie. Il y a enfin et surtout dans cette recherche vaine l’aveu d’une défaite, des routes qui ne mènent nulle part et un monde où tout reste à construire.
Distribution
AVEC Berdine Nusselder, Fabien Magry, Thierry Hellin, François Ebouele | CREATION MUSICALE Grégoire Letouvet, Marc-Antoine Perrio | SCENOGRAPHIE Arnaud Verley | EFFETS SPECIAUX Sébastien Corbière | COSTUMES Claire Schirck | CREATION LUMIERES Matthieu Ferry | CREATION SON Geoffrey Sorgius | MISE EN SCENE Thibaut Wenger
Vendredi 4 mai 2018,
par
Palmina Di Meo
Combat brumeux
Atmosphère lourde, inquiétante de bout en bout pour ce « Combat de nègres et de chiens ».
Un baraquement sous un pont en construction quelque part en Afrique de l’ouest. Une pénombre dans laquelle évoluent des personnages fantomatiques. Des éclairages faiblards, néons grésillants qui donnent au paysage des allures apocalyptiques.
Au milieu de ce brouillard, deux individus se côtoient « pour le meilleur et pour le pire », avers et revers d’une même soif de pouvoir et de domination, ils se gargarisent de pouvoir maîtriser cet environnement sauvage qui les dépasse. Horn, chef de chantier en âge de retraite, cherche à se persuader par des monologues grandiloquents qu’il possède encore des valeurs tout en sachant qu’il ne pourra sans doute pas quitter cette existence instable désormais inscrite dans ses gênes.
Horn et Cal, son ingénieur adjoint, se renvoient leur image réciproque générée par des cerveaux embués d’alcool, gueulant leur désespoir, muselant leur angoisse par la brutalité au son monocorde du crissement d’un ventilateur fatigué.
Et puis arrive, la femme, le dérivatif nécessaire à une fête qui n’aura pas lieu, oiseau exotique rutilant, débarquant de Pigalle pour se faire une place dans ce monde masculin sourd à toute forme de négociation ou de faiblesse. Car le contexte est tendu : un accident de travail, un corps d’ouvrier disparu, la révolte gronde mais on sait que le pouvoir et l’argent aura le dessus et comme le dit Horn, les discours ne sont même pas nécessaires, la corruption a déjà tout réglé : l’assassinat gratuit de l’ouvrier comme le silence des revendications. Alors que reste-t-il d’autre que la violence, encore elle, pour prouver qu’on a le dessus, qu’on maîtrise la menace et pour en fin de compte, éviter de faire face à soi-même.
Un quatuor d’acteurs exceptionnels formés par François Ebouele, Thierry Hellin, Fabien Magry, et une performance rafraîchissante de Berdine Nusselder, touchante et vulnérable dans le rôle de Léone, l’épouse par correspondance de Horn, sur qui la découverte de l’Afrique aura un effet révélateur et dévastateur.
Palmina Di Meo
Lundi 10 octobre 2016,
par
Catherine Sokolowski
Drame petit-bourgeois dans la forêt équatoriale
L’Afrique de l’Ouest. La forêt équatoriale. Un pont en construction. Le décor est planté : gigantesque, majestueux, sombre, angoissant. Quatre personnages se partagent les devants de la scène. Il y a Horn, chef de chantier, Cal, ingénieur nerveux, Léone, jeune femme séduisante tout juste arrivée de Paris et Alboury qui vient chercher le corps d’un ouvrier récemment décédé. Ils s’affrontent, se disputent, s’enlacent. Tension et désir sont au premier plan de ce huis clos violent de Bernard-Marie Koltès mis en scène par Thibaut Wenger. Métaphore d’une société en déliquescence, le spectacle est prenant et perturbant.
Horn est le prototype du chef de chantier européen exerçant en Afrique. Conciliant, prêt à fermer les yeux, il ne veut pas d’ennuis et va bientôt partir : l’entreprise française qui réalise le pont souhaite arrêter ses activités. Malheureusement, Cal est impliqué dans la disparition d’un ouvrier et Horn doit une fois de plus gérer les conséquences des débordements de cet ingénieur borderline. Pour Horn, il s’agit d’un accident. C’est “grave” mais cela arrive. Le problème est qu’il n’est plus possible de restituer le corps à Alboury qui ne partira que quand il aura récupéré la dépouille de son “frère”.
Concomitamment, Léone, future épouse de Horn débarque dans la forêt équatoriale. Attirée par la promesse d’un voyage en Afrique, la jeune femme d’origine alsacienne a accepté de suivre un quasi inconnu.
Fervent partisan de l’Afrique, Bernard-Marie Koltès ne ménage pas les Blancs. En 1978, l’auteur écrivait : “Je suis tant tenté de reconnaître la supériorité de la race noire sur la race blanche !”. Mais plus que la question raciale, ce sont les affres de la solitude qui sont au cœur du récit. “Combat de nègre et de chiens ne parle pas, en tous les cas, de l’Afrique et des Noirs - je ne suis pas un auteur africain -, elle ne raconte ni le néocolonialisme ni la question raciale. Elle n’émet certainement aucun avis. Elle parle surtout de trois êtres humains, isolés dans un certain lieu du monde qui leur est étranger.”
Les échanges se succèdent dans une tension qui va crescendo et dont l’épilogue annoncé est un feu d’artifice. D’autres thèmes sont mis en avant par l’auteur : les disparités hommes et femmes, la peur, le mensonge, l’argent ou le langage qui est au centre du récit. Alors que les mots s’amoncellent pour faire oublier la disparition du corps de l’ouvrier décédé, le seul vrai échange semble être celui dans lequel Léone parle allemand et Alboury répond en ouolof. Amoureuse de l’Africain, elle est persuadée qu’ils se comprennent.
Très inspirés, les acteurs sont à la hauteur. François Ebouele, fier, méprisant, personnifie le roi de Douiloff dont il porte le nom et qui naguère « s’opposa à la pénétration blanche ». Berdine Nusselder, incarne avec subtilité son personnage de “boniche” parisienne, sensuelle et désinvolte tour à tour généreuse et intéressée, lentement transformée par l’Afrique qui la subjugue. Thierry Hellin, alias Horn, convainc en chef défaillant d’un chantier à la dérive tandis que Fabien Magry (Cal), survolté, agressif et profondément tourmenté offre une performance physique. . Tout ce petit monde nous transporte dans une Afrique sombre et humide sous l’égide d’un Alboury aux allures de Jiminy Criquet. Un voyage envoûtant à la recherche d’une sérénité inaccessible.
4 Messages