À l’entrée de la salle, un des trois comédiens distribue les cartes : car c’est ainsi que s’organisent les foyers de SDF pour discriminer entre, les cartes rouges, ceux qui pourront dormir au chaud et les cartes noires, ceux qui seront condamnés à dormir dehors, étant dans l’incapacité de tous les accueillir. Une fois cette inégalité fondamentale posée, les comédiens nous entraînent dans une série de tableaux et de situations, d’une construction dramaturgique impeccable. Au fur et à mesure des questions posées, des réponses insuffisantes apportées par les politiques, Charlie Culot, Alexis Garcia et Camille Grange, dirigés par David Daubresse dessinent avec une grande humanité différents portraits de « pauvres », soit par la vidéo soit par l’imitation qui devient une manière de donner une voix à ceux qui n’en ont pas.
De fil en aiguille se construit un discours parfaitement équilibré dans chacun de ses arguments qui donne au spectacle la puissance d’un uppercut en plein visage. Tous les angles sont pris en charge, toutes les armes, du graphique au témoignage en passant par les caricatures de divers hommes et femmes politiques hautes en couleur ou des images poétiques simples et puissantes. Les comédiens se perdent peu à peu dans une forêt des individus disparus du système social, puis se transforment en naufragés du fol espoir, puis construisent une barricade, des paysages de guerre en Orient, mêlant problématiques locales et mondialisées avec brio et intelligence.
La virtuosité du spectacle doit beaucoup à la scénographie efficace de Claudine Maus composée de quelques praticables qui font apparaître des bureaux, des radeaux, des tombes, des bancs, des salles de classe en deux mouvements. Ce dispositif de jeu laisse tout l’espace aux comédiens pour laisser entendre leur parole et déployer tous les matériaux collectés à l’intérieur de l’écriture du spectacle. Sans laisser au spectateur le temps de reprendre son souffle, les images se succèdent sous nos yeux, attaquant le problème de la pauvreté de plus en plus profondément pour appeler finalement à une conscience collective réveillée sur les planches du théâtre, ouvrant les possibilités d’action. L’écriture du spectacle est parfois documentaire, parfois au vitriol, et toujours ancrée dans une profonde poésie du réel même dans son âpreté la plus grande.
Le théâtre lui-même est utilisé avec intelligence comme un support de représentation alternatif aux médias actuels qui entretiennent des représentations et des peurs construisant une vision idéologique de la pauvreté dans nos sociétés. En détournant ces supports médiatiques pour révéler leur vacuité tout en générant d’autres représentations davantage politiques et humaines au plateau, les quatre créateurs d’Art et tça font de leur spectacle une arme formelle qui vient détruire les représentations politiciennes et médiatiques qui nous entourent.
Tout, dans ce spectacle, y compris la rencontre qui suit chaque représentation avec un intervenant d’une association en lutte sur ce même thème, en fait un beau geste de renouveau du théâtre politique. Dignes héritiers du Théâtre de l’Aquarium et de l’écriture d’Armand Gatti, Charles Culot, Alexis Garcia, Camille Grange et David Daubresse mènent un travail nécessaire et urgent tout en prenant un parti pris esthétique original. Au plateau, la lutte continue.
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