Ils sont entrés en silence, sur ce plateau nu. Brusquement, Stan se précipite dans l’escalier et du balcon, qui surplombe la scène, lance : "Je voulais te voir pour te dire que ça s’arrête." Sur son banc, Audrey encaisse. Pendant quarante-cinq minutes, dans un flot ininterrompu de mots qui se cherchent, Stan s’acharne sur leur amour agonisant. Pris dans le "filet" d’Audrey, il ne supporte plus son emprise étouffante, il n’a plus envie d’être dans son regard. Comme tout le monde, il a rêvé d’ensoleiller leur vie de projets, jusqu’à leur mort. Il y a cru. Ce n’est plus possible. "Mon amour" est devenu une formule vide. "Je te regarde et je n’ai plus de désir." Peut-être qu’une autre peau, une autre bouche, d’autres bras le ranimeront. Les reproches, les mots vengeurs se mêlent aux doutes et au désarroi. Mâle dominant, Stan semble parfois affecté par ses propos vindicatifs. Pour relancer cette guerre de tranchées, il se gargarise de métaphores comme : "Nous sommes des appareils amoureux sophistiqués, à programmation courte, et nous ne le savions pas."
Le nettoyage de la scène marque la fin du premier round. Réduite au silence, Audrey a esquissé quelques désapprobations, retenu ses larmes. Mais quand enfin elle parle, c’est un fauve blessé qui contre-attaque. Avec la violence d’un boomerang. Ecoeurée par cette logorrhée puante, elle ridiculise l’obsession de tout "reparamétrer" et méprise ce "déserteur, qui n’avait pas la carrure pour notre amour". Tirades cinglantes, mots crus pour démonter ses arguments et dénoncer sa vanité, son immaturité et son égoïsme. Sans se soucier de leur sort, il tient à ce que les trois enfants conservent une image positive de leur père. Audrey, elle, les garde dans son coeur. Comme elle garde l’absence de Stan et les moments de bonheur, qu’il prétend oublier. Pour parer les coups précis et appuyés, Stan lui tourne le dos, puis se recroqueville et finit par s’écrouler.
Par une mise en scène sobre, Sandro Mabellini souligne intelligemment le décalage entre les personnages. Deux styles différents pour achever un amour moribond. Dans la peau de Stan, Pietro Pizzuti traque constamment la précision. Il se reprend, bute sur une répétition, claironne une phrase grinçante, se tait un instant et se replonge dans ce fleuve de mots. Possédé par ce monologue fiévreux, tout son corps vibrionne. Sandrine Laroche incarne une femme meurtrie mais forte : elle puise dans sa douleur une énergie qui la rend impitoyable. Son ironie acerbe fait mouche. Fière, elle interdit à Stan de juger son travail et le poignarde en lui lançant : "J’espère que tu as une vie intérieure."
Au milieu de son monologue, Stan reconnaît qu’il verrait bien le public quitter la salle. On a effectivement l’impression de jouer les voyeurs, témoins d’un règlement de comptes insupportable. Quand cessera-t-il ? La pièce redevient passionnante quand Audrey, acculée à l’attaque pour mieux se défendre contre son abandon, sort de son silence. Exploitant efficacement la langue sophistiquée et brutale de Pascal Rambert, deux grands comédiens se déchirent dans un combat sans merci. Un combat qui nous interroge sur l’essence de l’amour.