On pourra découvrir Clément Manuel dans le rôle principal de Tripalium, écrite et mise en scène par Thibaut Nève à partir du 26 février aux Riches-Claires et le revoir dans Jeux d’Adultes dans une Chambre d’Enfants le 22 février au Centre Culturel d’Uccle.
Venant de Lyon, pourquoi avoir choisi Bruxelles ?
C’est essentiellement dû au hasard. J’ai eu un professeur à Lyon, Pierre Bianco, qui a beaucoup travaillé à Liège il y a des années. Il avait un ami qui donnait cours au Conservatoire de Bruxelles. J’ai passé le concours d’entrée, je l’ai réussi et j’ai entamé mes études ici…
As-tu remarqué des différences entre les deux pays ?
En Belgique, tout me semble moins difficile ! Mais jamais rien n’est tombé du ciel, je me suis toujours bougé pour participer à des projets qui me tenaient à cœur. La principale différence, c’est que les gens ici sont plus simples, plus accessibles qu’en France. Et puis la Création théâtrale et cinématographique en Belgique est tellement riche, ça vaut vraiment le détour.
Que penses-tu de la place des comédiens en Communauté Française ?
Rien n’est facile ; il faut oser appeler les metteurs en scène si on veut travailler, être curieux, se lancer, créer ! Ce qui est bien au Conservatoire de Bruxelles, c’est qu’on peut bosser tout en étant étudiant ; on peut déjà se faire une bonne idée du métier, toutes les expériences sont bonnes à prendre ! Cela permet aussi de faire des rencontres, ce qui est très important dans le milieu ! D’ailleurs, comme la Belgique est un petit pays, on finit très vite par tous se connaître.
J’ai lu que tu avais beaucoup pratiqué l’escrime ; cela t’a-t-il servi dans ton métier ?
L’escrime est une passion depuis l’enfance ; mes parents m’ont un jour demandé de choisir entre les cours d’escrime et ceux de théâtre… La réflexion n’a pas été longue ! Mais j’ai tout de même repris l’escrime de spectacle, un peu plus tard. Cela m’a servi pour le tournage de la série Par le Sceptre et l’Épée, qui se déroulait au Moyen Age, et dans Le Diable et le Bon Dieu, au Théâtre du Parc. Et qui sait, peut-être une prochaine fois ?
Cela fait quelques mois que France Pinson et toi tournez avec Jeux d’Adultes dans une Chambre d’Enfants ; est-ce agréable de reprendre ainsi une pièce de loin en loin ?
C’est super gai ! À chaque reprise, au fil du temps, on sent un enrichissement dû au rapport qui change entre nous, dû à nos différentes expériences personnelles et professionnelles. Aussi, on prend du recul par rapport au rôle. Déjà qu’entre la première et la dixième représentation d’une série on sent des différences, alors imaginez 30 représentations étalées sur deux ans ! J’avais déjà connu ça avec la Veuve Rusée
, et on fera pareil avec Les Fourberies de Scapin
que l’on devrait reprendre en tournée l’année prochaine.
Vous avez ouvert le premier Festival Off’ de Spa en 2007 avec ces fameux Jeux d’Adultes… ; que penses-tu de ce genre de festivals ?
C’est super important ! Je trouve très chouette qu’il y ait de telles initiatives, et d’ailleurs il y en a de plus en plus, comme le Festival Azimut du Bruegel ou celui de la Toison d’Or. J’aime ce vivier de nouvelles salles, ces jeunes qui en veulent et qui osent monter des projets pas évidents. L’offre à Bruxelles est énorme mais il me semble qu’il y a plus de visibilité ici qu’à Paris, où les petites productions sont noyées dans la masse… Il me semble qu’ici, beaucoup de très petites productions sont de qualité ! Tout cela prouve que même quand il y a peu d’argent, c’est possible ! Mais très difficile, l’équipe est rarement payée, on rentre tout juste dans nos frais et parfois seulement on a la chance d’être remarqués et rachetés. Je crois que le théâtre à Bruxelles n’existerait pas sans ces petites salles, et je ne partage pas l’avis de ceux qui estiment que soutenir les nouvelles salles, c’est se disperser vu l’offre existante… Je pense ici surtout au ZUT, qui malgré ses nombreux Prix du Théâtre, n’est toujours pas subventionné, et aussi à L’Arrière-Scène et à l’Atelier 210.
Et le théâtre, c’est une passion depuis longtemps ?
Je ne pense pas avoir jamais voulu faire autre chose ! Mes parents m’ont soutenu comme ils l’ont fait pour mon grand frère, qui est musicien en Italie. Bizarrement, je me suis mis au théâtre très tard, vers 16-17 ans, dans une petite compagnie à Lyon, puis avec Pierre Bianco. Mon premier rôle a été celui d’un serviteur Capulet dans Roméo et Juliette. La première fois que j’ai appelé le metteur en scène, j’étais encore mineur et il m’a refusé ; j’ai rappelé le jour de mes 18 ans et il y avait justement un rôle qui venait de se libérer ! C’est sur ce projet que j’ai rencontré mon professeur, c’est donc vraiment un coup de chance ! Récemment, j’ai appelé un metteur en scène avec lequel j’avais très envie de travailler ; j’étais mort de trouille… Mais je crois qu’il faut prendre son courage à deux mains si on veut travailler.
Tu t’es aussi essayé à la réalisation ; ça t’a plu ?
J’ai effectivement réalisé deux court-métrages, Insomnies et Oh ! et j’ai co-écrit un scénario Tonton avec Vincent Vanderbeeken, lui aussi comédien. Ça m’a plu mais c’est beaucoup de boulot, d’investissement et pour l’instant ce n’est pas ma priorité. De plus, je n’ai aucune formation en réalisation. Mais un jour j’en ferai. La mise en scène au théâtre aussi m’attire beaucoup. J’ai fait 5 assistanats à la mise en scène, et en décembre dernier, je me suis lancé avec 5 Filles Couleur Pêche d’Alan Ball qui sera repris les 11 et 12 août 2008 au Festival de Spa. La prochaine, ce sera mi-avril : Le Jeu des Cigognes et de l’Enfer de Philippe Blasband au Festival Courants d’Airs
, à Bruxelles
Éprouves-tu des difficultés à mettre en scène des comédiens plus âgés que toi ?
Non, pas vraiment, surtout si la confiance est établie de part et d’autre. Lors de la distribution des rôles, j’insiste beaucoup sur le fait que le plaisir est indispensable dans ce genre de petits projets, sinon la motivation manque. Donc si quelqu’un n’est pas satisfait de son rôle, mieux vaut bien en parler et bien se mettre d’accord plutôt que de s’investir à moitié…
Obtenir ton statut d’artiste, ça a été une chose aisée ?
Comme pour le reste, il faut travailler ! J’ai fait plein d’assistanats à la mise en scène, de pubs, de courts-métrages etc… J’adore la diversité du métier, je crois que c’est un des rares domaines où c’est possible. Ne fût-ce que passer d’une pièce à une autre, c’est différent ! Et puis j’adore faire plein de trucs en même temps, même si je suis crevé, au moins je travaille ! J’éprouve du plaisir dans tout ce que je fais… Ce n’est pas un métier que l’on choisit pour devenir riche, c’est pour le plaisir qu’on en tire ! Je ne peux donc vraiment pas me plaindre, ce serait l’hôpital qui se fout de la charité…
Et le Prix du Patrimoine qui t’a été attribué en 2004, ça t’a été utile ?
Non ! C’est uniquement une ligne en plus sur mon CV…C’est pareil pour mon Premier Prix du Conservatoire. Cela m’a uniquement permis d’intégrer le CAS, et donc de passer des auditions et de faire des rencontres...
Travailler avec Thibaut Nève sur Tripalium alors qu’il est ton ami dans la vie, ce n’est pas trop difficile ?
Ce n’est pas la première fois que je travaille avec des amis : sur Jeux d’Adultes... on se connaissait tous par coeur, sur Le Monte-Plats aussi. Quand on travaille, on travaille. Je ne refuserai ou n’accepterai pas de faire quelque chose sur scène parce que Thibaut me le demande… Notre rapport est très clair. Le fait d’être amis est en fait un avantage, car on se fait mutuellement confiance. Et il ne faut pas croire que j’ai intégré Tripalium par copinage ; j’ai passé l’audition parce que j’en avais envie. Je crois d’ailleurs que je me suis donné comme jamais à cette audition : je n’avais pas envie de décevoir un ami ! Et le rôle me plaisait...
De quoi parle Tripalium ?
J’y tiens le rôle de Jean ; la pièce se passe à Bruxelles. Jean travaille chez Perfect SA, une société spécialisée en air climatisé. Il raconte son histoire en la mettant en scène avec ses anciens collègues ; tout le monde joue donc son propre rôle… Jean, adorait son métier, il se sentait chez lui, en confiance, en famille… Jusqu’au jour où il a le malheur de demander des congés pour aller suivre une formation à l’extérieur de la boîte. À partir de là, tout s’écroule. On lui parle de trahison, de contrat moral, de confiance bafouée. Après 2 ans il finit par démissionner. Cette pièce m’a plu car elle parle de l’emploi des jeunes, qui est un sujet qui forcément me touche ! J’ai aussi trouvé le débat intéressant : faut-il accepter de faire tout ce que notre boss nous demande pour conserver notre emploi ou plutôt se rebeller et donc rester intègre ? Et puis ici, c’est traité avec humour et gravité. C’est donc drôle, touchant et ludique à la fois.
Te vois-tu encore faire ce métier longtemps ?
Oui ! D’ailleurs je ne me vois pas faire autre chose… Mais je veux toujours rester dans cette diversité, ne pas m’enfermer dans un genre. Je fais quelque chose que j’aime et je gagne de l’argent pour le faire, je crois que c’est une grande chance…
Trouves-tu qu’il y a un star-system dans le théâtre belge ?
Non, mais je ne suis pas sûr que ce soit bien… Les comédiens belges méritent la reconnaissance. Souvent, les comédiens connus sont ceux qui sont passés au cinéma ou à la télévision. Je trouve qu’en Belgique il y a une grande humilité chez les comédiens. Par exemple, quand je jouais dans Les Fourberies de Scapin avec Pietro Pizzuti, ce dernier refusait de saluer tout seul, il voulait que toute la troupe l’accompagne ! La grande classe !
En parlant de la Belgique, que penses-tu de nos deux communautés culturelles ?
Je trouve ça génial ! Et malheureusement destructeur à la fois (on l’a constaté récemment). C’est dommage, ça devrait être une richesse, une force ! Au Théâtre, le KVS , le Kaaitheater proposent de très chouettes productions. Je trouve dommage qu’il y ait si peu de dramaturges flamands montés en français. Et inversement. Je regrette d’ailleurs de ne pas connaître la langue de Vondel… Mais je crois qu’on commence à voir des échanges ; par exemple, une compagnie flamande a approché Thibaut pour monter Tripalium en Flandre ! Il est vrai qu’il y a de grandes différences culturelles entre les deux communautés mais c’est enrichissant… À Bruxelles, je me sens toujours un peu en vacances vu la diversité culturelle ! D’ailleurs je ne sais plus très bien si je suis Français, Belge, Lyonnais ou Bruxellois… Je me sens Européen… je me sens là !
Que penses-tu de la distribution de l’argent pour la culture en Communauté française ?
C’est un problème compliqué… Je crois qu’il devrait y avoir plus d’argent pour la jeune création et la culture en général. La CCAPT [1]. a chaque année une enveloppe de 200 000 euros de subsides distribués entre 10 « premiers » projets, alors que 60 candidatures sont rentrées… Et quand on n’a pas la chance de l’obtenir, cela devient plus difficile d’arriver à convaincre les théâtres de prendre le risque de nous soutenir. Certains le font et c’est génial. Dans la programmation des Riches-Claires par exemple, presque tous les spectacles sont des jeunes créations, qui n’ont pas ou peu de moyens, mais de la motivation, des choses à dire ! Et puis, pour parler de la répartition de l’argent, On donne beaucoup d’argent au Théâtre National, mais je trouve dommage que celui-ci n’accueille pas davantage de jeunes productions. Le « jeune théâtre » n’existe plus. Ce sont souvent les mêmes comédiens et les mêmes metteurs en scène qui tournent ; ceci n’enlève rien à leur talent mais je crois que le National devrait être une vitrine du théâtre en Communauté française, avec une plus grande diversité, il y a tellement de talents en Communauté française…
As-tu des conseils à donner ?
Créez ! Créez ! Créez ! Lisez ! Sortez ! Osez ! Foncez ! Et puis surtout, n’ayez pas peur de vous remettre en question, cela permet d’aller tellement plus loin.
Propos recueillis par Solange De Mesmaeker le 5 février 2008