« Je n’écris pas des pièces, j’écris des spectacles. » Avec Cendrillon, Joël Pommerat nous le prouve une fois de plus. Dans une obscurité presque totale, la voix aux accents lointains d’une narratrice s’élève pour conter l’histoire de cette toute jeune fille qui comprit mal ce que sa mère lui dit sur son lit de mort et qui, de longues années durant, se construisit sur une erreur. Les tableaux se succèdent, nets et admirablement orchestrés. Ombre et lumière sculptent l’espace sans effort, de cave sombre et lugubre en maison de verre scintillant sous le faste du lustre en cristal. Les personnages connus apparaissent, évoluent, et pourtant bien vite on oublie la trame du conte de fées pour se concentrer sur l’instant. Les dialogues ont la férocité de l’enfance : bruts de décoffrages, directs, et sans chichis. C’est souvent percutant, comique parfois, et toujours pertinent.
Récrire une histoire sans en changer une ligne, c’est la prouesse qu’accomplit Pommerat avec sa lecture des personnages, de leurs mécanismes internes et de ce qui y coince : une Cendrillon rongée par la culpabilité face à une promesse imaginaire impossible à tenir et qui se complaît dans la soumission, une belle-mère autoritaire et légèrement mégalo que la jalousie transforme en tyran, un père dépassé et effacé, noyé dans ces tourmentes de femmes auxquelles il n’entend rien. Cigarette au bec et allures désabusées, la bonne fée elle-même y perd de son aura magique et préfère se retrousser les manches pour donner un coup de pouce à sa filleule.
Par la finesse de son analyse et la force de sa mise en scène, Joël Pommerat atteint l’équilibre parfait -et forcément précaire- de la justesse : le spectacle entier se déroule sur ce fil ténu séparant le drôle du grotesque, le profond du maniéré, le grave de l’ennuyeux, sans jamais tomber du mauvais côté. Un rhinocéros de verre, puissamment fragile et délicatement bouleversant, qui a reçu la plus belle des ovations : le silence captivé des nombreux enfants présents dans la salle.
Cindya Izzarelli
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