Dans un décor et des costumes qui arborent les couleurs nationales, trois comédiens se renvoient la balle, pour décrire différentes facettes du Belge. Pragmatique, "il va de l’avant, en assurant ses arrières". Doutant de son identité, de son histoire, de son avenir, il a du mal à s’affirmer et n’imaginerait pas que "franco-belge" devienne "belgo-français". Mais si certains "petits Belges" cultivent un complexe d’infériorité, d’autres ont le goût de l’autodérision, du panache et de l’excès comme Michaux, Brel ou Ensor.
En nous fournissant des précisions sur certaines spécialités gastronomiques, sur des expressions locales ou en jonglant avec les belgicismes, l’auteur évite tout didactisme, car le ton de ce dictionnaire excentrique est savoureux et ironique. Si les évocations goûteuses des pistolets ou des croquettes aux crevettes nous mettent l’eau à la bouche, on ne peut en dire autant des carbonnades flamandes. Puisant dans ses souvenirs, Patrick Roegiers nous fait revivre la fascination qu’ont exercées sur lui les aventures de Tintin. Et le triomphe du roi Eddy, au tour de France 1969. Une victoire attendue par tout un peuple , depuis trente ans ! Parfois, les reminiscences sont plus anecdotiques et ne peuvent toucher que les spectateurs d’un certain âge. Preuve que "l’enfant prodigue" laisse remonter ces bouffées du passé, en toute liberté.
Par sa mise en scène inventive, Vincent Dujardin a réussi à dynamiser ce patchwork. La première partie, qui prend souvent l’allure d’un ping-pong verbal, est très enlevée. Au début de la seconde, l’une ou l’autre séquence, victimes de cholestérol lexical, s’étirent, mais le spectacle reprend rapidement un rythme soutenu. On ne peut qu’applaudir la performance de Nicolas Pirson, qui parvient à égrener, en reprenant à peine son souffle, les cent raisons qui font de Jacques Brel un chanteur belge. Mais c’est le seul moment où nous assistons à un numéro d’acteur. La principale qualité de l’intreprétation est la complémentarité du trio de comédiens. Michel de Warzée, jovial et nostalgique, Philippe Vauchel, rêveur et débonnaire et Nicolas Pirson, fougueux et grave, conjuguent leurs talents, pour nous entraîner dans leur tourbillon. On apprécie particulièrement la cocasserie de la cantilène de la drache, l’ironie grinçante sur le ciment de la Belgique et la grandiloquence joyeuse de l’hymne adressé au peintre Antoine Wiertz.
C’est à la mer du Nord que Patrick Roegiers passait des vacances radieuses, troquant des poignées de coquillages contre des fleurs en papier "fripon". Aujourd’hui, la côte est devenue "de vlaamse kust", et il n’y connaît plus personne. En laissant parler sa mémoire, il ranime une Belgique qui s’estompe et nous aide à ressentir notre belgitude. Il le fait avec une intelligence et une émotion telles que le spectateur a envie de souscrire à la conclusion de son livre : "Je sais à présent qu’il n’y a au fond pas plus belge que moi."