Sous un vaste parapluie margrittesque, le visage fermé, Claude Semal martèle la scène, en chantant "Chez nous". Un diagnostic amer et fort poétique d’une Belgique atteinte d’un mal, qui rongeant ses institutions, la menace de disparition. Cette sombre entrée en matière est très vite balayée. Par le bouffon goguenard qui se rappelle les exploits de sa "bite philanthropique", puis par un papa radieux. Parfois tendres, parfois ironiques, les dialogues avec son petit garçon balisent le spectacle. Après "Les bébés, les papas", une ritournelle infantile (laissons-lui ce plaisir), Claude Semal lui chante la recette des frites et nargue les parents bien-pensants par l’éloge de la "mayo".
Une fois encore, il s’attaque aux dérives du progrès. "Les éclopés de la clope" sont condamnés à faire le trottoir, comme les putes. Avec l’impunité des limaces sur la salade, l’hôpital sécrète des maladies nosocomiales. Une démonstration burlesque ridiculise l’implantation de testicules. Et "Botox song" dénonce le succès de la chirurgie esthétique. Obsédées par la beauté formatée, trop de femmes ne croient pas qu’on les aime avec leurs rides et leurs bosses. Devant les "amis" qui poussent comme des champignons sur "Facebook", le pauvre Claude n’est qu’un plouc. Bien seul ! L’ironie de ces critiques est tempérée par l’empathie pour ces victimes des modes et du conditionnement.
C’est avec un ton virulent que Semal stigmatise une société qui oblige des hommes à dormir dans la rue, sur des journaux qui encensent les friqués de tout poil. Et le petit-fils du "vieux Pierre" se déchaîne contre l’exploitation de la lettre de Guy Môcqué. Comment tolérer que l’héroïsme d’un jeune communiste serve d’engrais au patriotisme sarkozyen ? Les cataclysmes, qui menacent notre planète malade, l’angoissent. Mais le simple contact de la joue de son enfant suffit à l’apaiser.
Entre les chansons, il manifeste une autodérision, qui l’empêche de passer pour un donneur de leçons. S’il n’est pas un chanteur connu, c’est qu’il ne veut pas composer de tubes. Et pourtant, il finit par chanter et danser : "On a la frite... la baraka... la baraque à frites." A rendre jaloux le Grand Jojo et Patrick Sébastien. Mis en scène avec une sobriété efficace par Laurence Warin, ce spectacle lucide, espiègle, provocateur et tendre confirme le talent d’un homme de théâtre complet, qui pourrait chanter comme Léo Ferré :
"Regardez-moi bien,
J’suis qu’un artiste."