Ce qui arrive
Ce qui arrive est un spectacle très librement inspiré d’ICI, roman graphique de Richard Mc Guire. L’auteur – artiste américain inclassable et touche à tout – enchâsse des images les unes dans les autres et attribue à chacune une datation dans un désordre chronologique allant des temps les plus anciens à un futur inexistant encore. Le lien entre les images n’est pas une histoire mais un lieu, un seul et unique lieu : le salon d’une maison. C’est à travers lui que l’histoire se raconte, non sous une forme linéaire, mais sous la forme de strates qui se superposent, se chevauchent, se croisent, se répondent.
De ce puzzle temporel, progressivement, avec des allers-retours entre périodes, apparaissent et disparaissent des scènes, des fragments d’une chronique familiale, des instants de vie qui se sont déroulés dans ce salon et s’y dérouleront encore. Un vertige naît du rapprochement temporel de ces scènes qui se déploient comme une fresque éblouissante de la mémoire et de la vie. Moments de retrouvailles familiales, de conflits, de maladie, de mort, de vieillissement, de bonheur, de rires, de rencontres amoureuses, de jeux d’enfants… Nouvelle décoration de la pièce, nouveaux meubles, apparition de la modernité, changements de coiffures, de vêtements… : le temps sans cesse dépose ses signes multiples. Jusque dans le langage et dans les gestes.
C’est dans cette combinaison d’éléments où le temps est à la fois présent, palpable et dérouté que Coline Struyf trouve le terreau de sa transposition du roman graphique à la scène. Dans une chorégraphie précise et sensitive où les corps des deux femmes et trois hommes de la distribution se transforment au gré des époques, elle saisit les passages du temps et de la vie quotidienne pour produire un effet sensible, donner une valeur émotive à la vie, rappeler le temps physique des choses, la trace avant l’oubli. Avec beaucoup de tendresse pour les êtres humains, elle nous invite ainsi à voir, percevoir et sentir le bonheur dans sa dimension à la fois extraordinaire et fugitive.
Distribution
CO-CONCEPTION | JEU
Selma Alaoui
Nicolas Buysse
Pierre Gervais
Vincent Hennebicq
Emilie Maquest
SON
Laurent Gueuning
LUMIÈRE
Amélie Géhin
COSTUME
Claire Farah, assistée de Marine Vanhaessendonck
SCÉNOGRAPHIE | VIDÉO
Gwenaël Laroche, Arié van Egmond
CHORÉGRAPHIE
Anne-Laure Lamarque
DRAMATURGIE
Nelly Latour, Manolo Sellati
ASSISTANAT
Alice De Cat
MISE EN SCÈNE
Coline Struyf
Lundi 18 février 2019,
par
Catherine Sokolowski
Tornade de souvenirs
Le titre de la pièce est parfaitement choisi, ce spectacle de Coline Struyf parle de ce qui arrive, à travers les époques, au sein d’une famille, dans un univers en transformation. Le lieu, quant à lui, reste fixe. Tout se passe dans un salon, circonscrit par une grande baie vitrée. Il y a 80 millions d’années, un dinosaure se promenait sur la terrasse, en 2111, la mer l’aura englouti. Et d’un autre côté, il y a la famille, les relations humaines, les aléas de la vie et le bonheur d’être chez soi, avec les gens qu’on aime. « Ce qui arrive » retrace l’histoire d’une fratrie à travers les âges, en 1958, en 2018, en 1402, ou en 1909. Les époques changent à une vitesse vertigineuse grâce à la virtuosité de la mise en scène, un spectacle très visuel dans un décor soigné. Eblouissant.
Suite au décès de leur père, cinq frères et sœurs se retrouvent dans la maison familiale, désormais vide. Cet évènement déclenche un torrent de souvenirs, s’appuyant eux-mêmes sur un passé plus lointain. En deux temps trois mouvements, on se retrouve à l’époque des dinosaures. S’il s’agit à la base de l’histoire d’une famille, la réflexion implicite est beaucoup plus large : l’évolution, l’importance de son « chez soi », l’impact des souvenirs, l’avenir de la planète.
La pièce s’inspire de la bande dessinée « Here » de Richard Mc Guire mais un important travail d’adaptation a été nécessaire pour reproduire les changements d’époque en direct. La mise en scène joue un rôle essentiel puisqu’il faut transporter le spectateur à travers les âges dans un lieu fixe : changements de costumes, d’objets, de meubles, tout est réglé comme du papier à musique.
Si le projet s’apparentait à une gageure, il s’agit pourtant d’une réussite, qui repose bien sûr sur les acteurs mais aussi sur la virtuosité de Corine Struyf, déjà détentrice d’un Prix de la critique pour « Homme sans but », de Arne Lygre, en 2014. D’histoire il n’y a pas vraiment, il ne faut pas trop chercher de liens entre les clichés, il s’agit plus de moments de la vie d’une famille (décès, mariage, jeux, émotions…) que d’une saga familiale. Du théâtre inventif, original, qui vient malheureusement renforcer nos inquiétudes sur le futur de la planète. En route pour un voyage temporel spectaculaire !
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