Pastia, le maître des lieux, accueille successivement les musiciens et quatre hommes, qui sympathisent avec le public. Des accessoires remplissent leurs valises. Prêts à servir le récit. Ces hommes ont rendez-vous avec un écrivain qui leur a promis d’exhumer la véritable histoire de Carmen. Dès qu’il apparaît, une question fuse : allons-nous la voir ? Pas de réponse. Prosper s’égare dans un labyrinthe d’explications agaçantes. Impatience ressentie par les spectateurs. Enfin ! Une faible lueur éclaire Don José dans sa prison. Condamné à mort, il attend son supplice et confie son journal à Prosper.
Celui-ci, micro en main, commence à le lire. Mais très souvent, il s’interrompt pour laisser place à l’action. Il distribue les rôles et en assume certains. C’est lui qui mène l’enquête sur la bagarre entre les cigarières ou qui glisse le couteau dans la main de Don José. Les acteurs ont des physiques très différents. Pourtant, chacun a l’occasion de représenter l’amoureux transi. Par leurs récriminations, leurs maladresses ou leur jeu caricatural, les comédiens nous tiennent à distance des péripéties dramatiques. On ne peut que rigoler devant les soubresauts burlesques de Garcia, baignant dans son sang. Prosper est un narrateur qui dit "Je", en s’identifiant à Don José. Avec subtilité, Patrick Brüll nous fait sentir que cet intellectuel français est sensible au charme des Andalouses et qu’il fantasme sur Carmen. Comme les autres hommes, envoûtés par cette femme fatale.
Leur désir fait surgir cinq "Carmen" : la danseuse, la chanteuse, l’ambivalente, la sorcière, la douce. Cinq facettes d’une femme qui refuse toute entrave. L’opéra met en valeur sa volonté de gravir l’échelle sociale : la cigarière devient la compagne d’un brillant torero. Dans la nouvelle, la gitane passionnée mais manipulatrice cède à son impulsivité et entraîne Don José dans une cavale sanglante. L’amour, que lui inspire cette femme volage, fera de lui un brigadier dégradé, un contrebandier et un assassin.
Cependant, si l’on excepte la dernière séquence, le climat du spectacle n’est pas tragique. Loin s’en faut. Scènes teintées d’humour, ballets impeccables, chants d’ensemble se passent le relais, sur un rythme très soutenu, pour nous emporter dans un tourbillon. Antoni Sykopoulos, le directeur musical, reconnaît que : "La matière musicale fournie par le chef-d’oeuvre de Bizet est tellement ancrée dans la conscience populaire qu’il aurait été dommage de s’en priver." Il a donc transformé différents airs de l’opéra en compositions d’aujourd’hui et les a associées à des morceaux de jazz ou à des rythmiques sud-américaines. Revisiter Carmen en croisant l’opéra est un fameux défi. Brillamment relevé, grâce à la mise en scène rigoureuse de Dominique Serron et à l’aisance des onze comédiens de l’Infini théâtre.
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