Les moyens dont il dispose grâce à la synergie avec le Théâtre National ont été décuplés et l’on verrait bien l’entreprise devenir une grande production à la manière des grandes comédies musicales. Soulignons-le, les artistes sont issus de nos deux communautés et rendent en même temps un hommage passionné aux 20 ans du théâtre Le Public. Sous-titrés en trois langues. Précipitez-vous à Bruxelles avant le 1er octobre, car après le spectacle part en tournée ! Un spectacle cathartique, image d’une société rendue malade par l’argent (« Money, Money Money »), le pouvoir, l’intolérance, le repli sur soi et la mort annoncée des artistes de tout poil s’ils ne sacrifient pas à la rentabilité et à la culture du profit. Ou à la culture d’Etat.
Le spectateur ne peut qu’être touché par ce message asséné avec force et compte tenu de la situation géopolitique actuelle mondialement fragile, la piqûre de rappel fait l’effet d’un électrochoc. On reste hantés par ce Herr Schultz (Guy Pion, at his best) si poli, si affable et si tolérant, pétri de bienveillance et dont les rêves très humains se font subitement rafler par la puissance nazie symbolisée par cet officier blond aryen (Bruno Mulenaerts) et écraser par les chants patriotiques glaçants qui se répandent sur le plateau. Et du coup, c’est toute la vie des artistes du Kit Kat Club, celle de la logeuse sévère et compassée Fraulein Schneider (très bien défendue par Delphine Gardin), celle de sa pulpeuse locataire si généreuse avec les marins (une inimitable Daphné d’Heur dans le rôle de Fraulein Kost) et celle du jeune couple qui vient de se former, qui volent en éclats, dans un jeu de dominos infernal.
En effet, un étranger, Cliff, le jeune écrivain américain (Baptiste Blampain), s’est épris de la craquante petite anglaise (« Don’t tell Mama »), chanteuse et danseuse de Cabaret, Sally (Taïla/Lisa Onraedt/Minelli). Celle-ci a mené une vie de bâtons de chaises jusque-là. Elle est retombée enceinte, il lui promet le mariage, tout va soudain tourner au conte de fées… « Maybe this time… » sauf que tout se termine dans l’horreur d’un rideau de larmes. L’impitoyable danse macabre est orchestrée depuis l’entrée en scène avec férocité par un Emcee plus vrai que nature (Steve Beirnaert). La chorégraphie impeccable est signée Thierry Smits (« To the ones I love »), c’est tout dire !
Le grand orchestre sous la direction de Pascal Charpentier mérite autant de félicitations que la trentaine de danseurs-chanteurs-comédiens qui forment un remarquable casting totalement à l’aise dans le chant, la danse et la tragicomédie…. La richesse des timbres, la générosité des rythmes parcourent toutes les émotions humaines : le désir, la joie, la passion, la sensualité, la tendresse, la mélancolie… le cynisme, la haine, la jalousie et la cupidité aussi. Pendant tout le spectacle l’orchestre est juché sur une estrade en forme de ring pour un pugilat entre l’esthétique parfaite des sonorités et le fond d’une histoire totalement insupportable. Et c’est le spectateur qui reçoit les coups. Une superbe scénographie de Vincent Lemaire.
La comédie qui se joue à ses pieds a tout de la fascination du mouvement perpétuel d’un immense manège rutilant qui vous précipite vers un chaos final. « A merry-go-round » infernal. Tout tourne et étourdit au passage, mais sonne juste et souligne la lucidité du propos. Cette nouvelle version du spectacle mythique sera sans doute à verser dans les fiches de Wikipedia, on n’en doute pas ! Dominique-Hélène Lemaire
15 Messages