Quatre sculptures vivantes debout sur des socles dans un halo de lumière. Les gestes sont lents, parfois imperceptibles. L’une d’entre elles s’agite tandis qu’une autre exhibe fièrement ses bourrelets et sa cellulite. Une batterie de tambours emplit l’espace sonore. Tous se mettent en mouvement et occupent la surface du plateau, comme libérés de la torpeur. Roulades, progressions au sol, solos et unissons, chutes, manipulations des socles qui deviennent scène, tour chancelante ou poids écrasant un corps, dans l’opulence, l’énergie, la maîtrise ou l’abandon, ces « corps volumétriques » s’approprient l’espace avec grâce et élégance.
L’idée de cette pièce a germé dans la tête de Taoufiq Izeddiou, il y a une quinzaine d’années, lorsqu’il découvre à l’aéroport de Venise la sculpture d’un couple de danseurs géants signée par l’artiste colombien Fernando Botero. Impressionné par la masse mais aussi la beauté des personnages, le chorégraphe marocain se souvient de cette image au moment où son corps est en train de se transformer. Et la question du corps qui vieillit dans l’univers de la danse s’impose à lui, tout comme celle des corps qui ne répondent pas aux canons de beauté occidentaux de la danse contemporaine. « ?N’importe quel corps en éveil est capable de produire de la beauté », sera sa réponse.
Spectacle hors norme, servi par des interprètes hors norme, « Botero en Orient » constitue également un plaidoyer contre cette norme imposée, synonyme d’oppression, de stigmatisation, d’humiliation voire de torture. Ainsi, les socles nous ramènent à ceux sur lesquels étaient juchés et photographiés les prisonniers d’Abou Ghraïb (auxquels Fernando Botero a consacré une partie de son œuvre). Loin de faire figure d’exception comme dans la plupart des pièces contemporaines, ici les corps ronds s’imposent, sans partage, et donc sans comparaison possible, comme étant la norme. Le volume s’efface pour laisser toute la place à la force, l’harmonie et la beauté.
Didier Béclard