Installé en Afrique depuis trente ans, Ruben traite des affaires avec le gouvernement congolais. Ce soir, il épie l’arrivée de Corine et Daniel. Agacé par leur ponctualité suspecte, il cherche le moyen de les piéger. S’il a invité ce couple, c’est pour aider Daniel à concrétiser son projet d’exploitation du caoutchouc, mais c’est surtout pour se payer leur tête. Dans l’esprit du dîner de cons. Il faut dire que Corine débite avec naïveté des âneries sur la culture africaine, devant son mari excédé, qui cherche constamment à lui clore le bec. Mathilde, la femme de Ruben, noie son désoeuvrerment dans l’alcool et s’efforce de protéger Louise, leur domestique noire. Elle la considère comme une amie, alors que son mari la traite brutalement, avec la morgue du colon.
Cependant Louise n’est pas une esclave soumise. Elle subit les caprices de son maître, mais lui tient tête, osant même, dans une discussion en lingala, faire allusion à son impuissance. Electrisé par sa sensualité, Daniel voudrait "être son blanc". Il l’assaille de messages, lui promet beaucoup d’argent. Elle repousse ses avances : "Pas intéressée !". C’est elle qui convainc Mathilde d’abriter puis d’engager Panthère, son amant, qu’elle fait passer pour son cousin. Rebaptisé Victor, ce Congolais énigmatique observe et filme les blancs. Epouse frustrée, Mathilde tente de résister à son attrait. En vain. Ce noir sexy et entreprenant lui redonne le goût du plaisir.
Le ministre Dyabanza n’a aucune envie de discuter caoutchouc avec Daniel. S’il est venu ce soir chez Ruben, c’est pour lui annoncer qu’il ne décrochera pas le chantier public convoité. Le gouvernement congolais l’a accordé aux Chinois. Malgré les blessures du colonialisme mal cicatrisées, Dyabanza faisait des affaires avec Ruben . Par pragmatisme. Au nom de cette même logique libérale, les communistes de Pékin l’emportent sur le vieil Occident. Pas de passif colonial ni de défense des "valeurs", mais des offres économiques plus avantageuses. Largué par ses alliés, trompé par sa femme, Ruben voit fondre son complexe de supériorité. Tout à coup Corine, outrée par le comportement de son mari, lance à Mathilde : "Vous vous êtes tapé le gardien ? D’accord. Daniel baise la bonne, vous baisez le gardien. Le gardien baise la bonne. C’est tout ? Je suis la seule à ne pas m’envoyer en l’air ?" Et elle s’offre à Ruben, interloqué. Une explosion vaudevillesque, qui rend risible la débâcle de l’homme blanc.
Persuadé qu’il ne fallait pas souligner le comique des dialogues cinglants, Frédéric Dussenne, le metteur en scène, a demandé à ses comédiens de "donner son poids au silence et à la présence du corps." Par leur jeu maîtrisé, ils nous entraînent dans des situations très drôles, qui reflètent certains désarrois. Ansou Dhiediou (Dyabanza) affiche l’aplomb de "l’homme qui s’est fait tout seul". Au fil de l’action, Priscilia Adade (Louise) et Jérémie Zagba (Panthère) manifestent une confiance en eux de plus en plus évidente. Face à ces Africains lucides, les couples occidentaux ne pèsent pas lourd. Désabusée, Valérie Bauchau (Mathilde) combat la violence de son mari par la bienveillance. Cependant c’est une femme à bout de patience. Corine est une gaffeuse, mais Stéphane Bissot rend sa candeur cocasse. Il est normal que Dyabanza préfère cette femme issue du peuple à son fantoche d’époux (Benoît Van Dorslaer). Sa méchanceté nous autorise à rire sans pitié de ce raté en affaires comme en amour. Par son arrogance, ses certitudes, son cynisme, ses tics, Philippe Jeusette incarne un Ruben qui se croit maître du jeu. La gifle qu’il encaisse est d’autant plus cuisante.
"Regarde l’homme blanc" (traduction de "Botala Mindele"). L’auteur fait preuve d’une lucidité implacable. L’emploi de la vidéo et le décor (un salon bourgeois de moins en moins intime) aiguisent cette vision. Tout l’art de Rémi De Vos est de nous poser des questions angoissantes, au milieu d’éclats de rire.
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